mardi 2 décembre 2014

Compétitivité du foot français" : voyage dans l'inconscient des présidents de clubs

Un de nos récents articles pointant l'illusion d'une réelle concurrence entre les clubs français et les clubs étrangers ayant suscité des réactions plus nombreuses qu'à l'accoutumé, cela n'a pas été sans quelques critiques. Rétablissons donc les  faits et apportons un nouvel éclairage : celui de la ligue rêvée par les dirigeants de clubs.
Les faits, quels sont-ils  ? Il s'agit de savoir si, oui ou non, les clubs de football professionnels français sont réellement en concurrence avec les clubs étrangers. Nous n'allons pas revenir sur tout notre argumentaire mais nous attarder sur un point capital pour juger si une entreprise est ou non en concurrence avec une autre. Pour cela, il nous faut connaître l'activité exacte des clubs concernés.
Quelle est donc l'activité économique d'un club de football ? Est-il un commerçant qui fait de l'import-export de marchandises (les joueurs) ? Ou est-il un organisateur de spectacle sportif ?

L'arrêt Bosman, une aubaine économique pour les clubs français

Si l'activité économique d'un club de football est l'achat et la vente de joueurs de football en France comme à l'international, on peut parler de concurrence. En effet, le marché européen est libéralisé et tous les acteurs de ce marché (les clubs) peuvent vendre et acheter.
Mais si la concurrence existe bien sur ce marché, elle est favorable aux clubs français. Grâce notamment à l'excellence de leur formation, les clubs français sont en effet des exportateurs excédentaires et réalisent en cela le rêve de toute PME hexagonale.
La preuve de ce succès est révélée par l'étude récente de l'UCPF – qui pourtant se plaint de la concurrence étrangère – sur le "décrochage" : les comptes d'exploitation des clubs français sont régulièrement équilibrés grâce à l'activité d'achat et vente de joueurs.
En libérant le marché européen, l'arrêt Bosman, loin d'avoir été une entrave à l'économie du football français, lui a ouvert des perspectives d'affaires dont profitent aujourd'hui les clubs français. 

Spectacle sportif : l'essentiel est de participer

Raisonnons maintenant sur l'autre aspect de l'activité, l'organisation de spectacle sportif – un spectacle non délocalisable, puisque qu'un club français ne peut participer à un championnat étranger, pas plus qu'un club étranger ne peut participer aux championnats français. Ici, nous l'avons souligné dans notre précédent article, l'essentiel est de participer afin d'avoir une part du gâteau (droits télé tout d'abord, mais aussi recettes associées aux matchs). Ainsi, les clubs de Ligue 1 sont en concurrence entre eux pour se maintenir dans cette compétition, et, pour les mieux armés, pour s'inviter dans une compétition européenne, laquelle leur donnera accès à de nouvelles recettes.
En n'attirant pas les meilleurs joueurs mondiaux depuis l'arrêt Bosman, le football français a tout de même connu une hausse de son chiffre d'affaires considérable. Droits télé et fréquentation des stades ont explosé en vingt ans.
La moyenne de spectateurs par match de L1 était de 13.600 en 1996/97, elle oscille depuis entre 19.000 et 23.000 de moyenne. Quant aux droits télé, ils connaissent une hausse constante depuis 1998/99 et sont ainsi passé de 122 à 748 millions d'euros par an, à l'exception d'une baisse sur l'avant-dernier contrat.
Ces bons résultats ont été obtenus indépendamment des résultats dans les différentes Coupes d'Europe. L'activité économique d'un club est donc bien circonscrite à une lutte intérieure qui se mène sur deux fronts : se maintenir en Ligue 1 ou accéder aux Coupes d'Europe.
Et si l'on parle de concurrence européenne, comme le fait l'UCPF, il faudrait considérer la répartition des droits télé des clubs espagnols – bien moins favorables que celle qui prévaut en France, si l'on ne s'appelle pas le Real ou le Barça. Les clubs russes ou portugais ne sont d'ailleurs pas mieux lotis sur ce terrain.
Quant à la fréquentation des stades, elle est moindre dans plusieurs pays européens qui font jeu égal avec la France à l'indice UEFA  : 10.217 spectateurs de moyenne au Portugal la saison passée.

La ligue rêvée de l'UCPF

A travers son étude sur le décrochage du football français, l'UCPF n'a qu'un but : prendre le pouvoir. Il n'est qu'à lire entre les lignes de son récent rapport pour s'en rendre compte. Ainsi les graphiques qui figurent en préambule – et qui n'ont quasiment pas été commentés par la presse – sont riches d'enseignement sur l'inconscient des présidents de clubs…
Qu'y trouve-t-on ? Des "atouts" et des "contraintes" comparées entre les sept plus grands championnats européens. Si les charges patronales, listées dans ces tableaux, sont objectivement perçues comme des contraintes, comment interpréter la présence du critère "ligue de 'clubs'", du critère "solidarité L1/L2" ou du critère "barrages (play-offs)" ?
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que dans l'esprit de l'UCPF, le fait que la France soit le seul pays où le pouvoir au sein de la Ligue est partagé entre les clubs et les "familles du football" est vécu comme une contrainte par les présidents. De même que les 19% de recettes des droits télé à reverser aux clubs de L2 (une contrainte partagée à ce niveau par la seule Allemagne) leur pèsent. Et que dire de l'élimination directe que constitue le classement final du championnat quand certains voisins offrent aux clubs de l'élite l'occasion de sauver leur peau grâce à différentes formules de barrages ?
A travers le choix de ces critères de comparaison, l'UCPF nous dessine sa ligue rêvée : une ligue contrôlée uniquement par les clubs, où l'argent des droits télé reviendrait dans des proportions beaucoup plus grandes qu'aujourd'hui aux clubs de L1, lesquels verraient leur place dans l'élite confortée par un système de barrage pouvant limiter à un ou deux les relégations de fin de saison.

JDL

1 commentaire:

  1. Le système de barrage sait être spectaculaire (ex: Championship au Royaume-Uni) et permettrait de limiter le nombre de matchs ultra-défensifs auxquels 8-10 clubs menacés de relégation nous habituent dès le mois de septembre de chaque saison "pour prendre impérativement des points". Diminuer le risque de descendre et donc d'une faillite potentielle (Le Mans, Strasbourg etc.) autoriserait un meilleur spectacle et des investissements à long-terme. On peut aussi souhaiter que la ligue 1 garde les mêmes déséquilibres (quelques gros et d'autres qui survivent) mais le bon sens pousse vers une ligue plus fermée.

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.