Adversaires de facto sur le champ de bataille ukrainien, Moscou et
Washington le sont désormais sur le terrain du football après les
accusations lancées par Vladimir Poutine contre les Etats-Unis et leur
stratégie pour empêcher la réélection de Joseph Blatter à la tête de la
Fifa.
Il n'aura pas fallu longtemps pour que la Russie, dont aucun
responsable - pour l'heure - ne fait l'objet d'une arrestation ou d'une
inculpation dans l'explosif dossier de corruption au sein de la
Fédération internationale de football (Fifa), sorte ses griffes.
Quelques
heures après l'annonce de la mise en cause par la justice américaine de
quatorze personnes, membres ou anciens membres de la Fifa et dirigeants
d'entreprises de marketing sportif liées à la Fifa soupçonnés d'avoir
touché des pots-de-vin depuis 1990, les chaînes publiques russes ont
donné le ton : il s'agit d'un complot des Américains pour empêcher la
tenue du Mondial 2018 en Russie.
Dans la soirée, la diplomatie
russe se fendait d'un communiqué au ton accusateur pour fustiger le
recours "illégal" à la loi américaine dans cette affaire et appeler
Washington à cesser ses "tentatives d'exercer la justice hors de ses
frontières".
Mais surtout, le Kremlin a coordonné jeudi la
diffusion d'une interview du président russe enregistrée tard la veille
dans la soirée et la publication de son verbatim où Vladimir Poutine ne
mâche pas ses mots.
L'enjeu du scandale de corruption ? "Empêcher
la réélection" de Joseph Blatter à la tête de la Fifa. La raison ? Le
patron suisse de la Fifa a, selon M. Poutine, résisté aux "pressions" de
ceux qui cherchaient à le dissuader d'attribuer à la Russie
l'organisation du Mondial 2018.
Le chef de l'Etat russe ne dit pas
que les Etats-Unis étaient au nombre des opposants à une attribution de
la Coupe du Monde à la Russie.
Mais, fustige-t-il, l'affaire en
cours est "une tentative évidente d'empêcher la réélection de Monsieur
Blatter au poste de président de la Fifa, ce qui constitue une très
grossière violation des règles de fonctionnement des organisations
internationales".
- Crainte d'une annulation du Mondial 2018 -
Le président russe, dont les relations avec Washington sont
plombées par le conflit en Ukraine en cours depuis avril 2014, a
également mis en cause la légitimité de l'action en justice américaine
dans une affaire qui ne se joue pas aux Etats-Unis et où les accusés ne
sont pas américains.
"Tout cela est pour le moins étrange", a
estimé le président russe. "Je ne sais pas si l'un d'entre eux a violé
une loi, mais en tout cas les États-Unis n'ont aucun lien avec tout ça.
Ces fonctionnaires ne sont pas des citoyens américains, et si quelque
chose s'est produit, cela ne s'est pas produit sur le territoire des
États-Unis et les États-Unis n'ont rien à voir avec tout ça", a critiqué
M. Poutine.
"C'est une nouvelle tentative évidente (des États-Unis) d'étendre sa juridiction à d'autres États", a estimé le président.
En face, la diplomatie américaine s'est gardée de polémiquer.
"Laisser
entendre que nous essayons d'avoir une influence sur le processus
interne à la Fifa, ce n'est pas la question", a ainsi botté en touche le
porte-parole du département d'Etat Jeffrey Rathke.
Il a ajouté
que "laisser entendre que d'une certaine manière les autorités
américaines seraient malvenues de s'intéresser à (la lutte contre) la
corruption est un peu difficile à comprendre".
Et, interrogé sur
un éventuel impact de l'affaire sur les relations entre les Etats-Unis
et la Russie, le porte-parole a assuré "ne pas voir d'effet sur ces
relations".
Pour plus d'un tiers des lecteurs de Sovietski Sport,
l'un des deux principaux quotidiens sportifs, il s'agit d'une
"conspiration contre la tenue de la Coupe du Monde 2018".
"Le
président a évidemment très peur pour la Coupe du Monde 2018. Il craint
non seulement son annulation mais aussi que l'ambiance à la Coupe du
Monde soit ternie" par le scandale de corruption, estime Konstantin
Kalatchev, directeur du Groupe d'expertise politique.
Plus
globalement, la Russie, engagée dans le bras de fer diplomatique le plus
intense avec les Etats-Unis depuis la fin de l'URSS en 1991, a le
sentiment d'être une "forteresse assiégée", entourée d'ennemis, au
premier rang desquels les Etats-Unis, qui veulent sa fin, y compris dans
le domaine sportif.
"Poutine a amené l'élection de Blatter sur le
terrain de la confrontation politique. Si Blatter n'est pas élu, ce
sera présenté en Russie comme un crime de plus des Américains contre le
football et contre les amis de la Russie", conclut le politologue.
(AFP)
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