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Localtis : Pourquoi les futures villes-hôtes de l'Euro 2016 ont-elles créé une association ?
Maurice Vincent : la création de cette
association vient du bilan tiré par les villes qui ont organisé de
grands événements sportifs depuis quinze ans. L'expérience acquise
notamment avec la Coupe du monde de rugby 2007 a montré qu'il y avait
une nécessité de structurer l'organisation des villes. Premièrement en
raison de la montée en puissance de ce type d'organisation et de la
complexité de ses diverses dimensions, juridique, technique,
organisationnelle, financière. Globalement, il y a eu auparavant des
formes d'organisation assez artisanales. Avec l'Euro 2016, on arrive sur
un nouveau type d'événement, beaucoup plus professionnel, plus complexe
et avec des coûts d'investissements qui sont cette fois-ci très élevés
pour les villes organisatrices. Nous avons à la fois la contribution au
stade, mais aussi des conditions d'organisation beaucoup plus
rigoureuses avec la question des fans-zones qui sont des équipements
assez lourds. Deuxièmement, il s'agissait d'oeuvrer pour plus de justice
et d'équité dans la répartition des retombées de l'événement. Avant,
les collectivités étaient amenées à bénéficier d'effets positifs en
termes d'image en contrepartie d'investissements plus ou moins
importants, mais il n'y avait pas de retour vraiment ciblé sur ces
villes, et à chaque fois qu'il y a eu des financements spécifiques qui
sont revenus après ces compétitions, ils ont été globalement gérés au
niveau national. Si bien qu'un certain nombre de collectivités se sont
retrouvées avec des stades ou des équipements collectifs financés alors
qu'elles n'avaient pas participé à l'événement, et les villes
organisatrices se sont parfois retrouvées avec des miettes voire rien du
tout, alors que leurs contribuables avaient été sollicités.
Comment cette association s'est-elle organisée et quels sujets avez-vous déjà abordés ?
Nous fonctionnons avec toute l'expertise acquise à travers les
précédents événements. Plusieurs cadres supérieurs de nos collectivités
étaient déjà présents à ces moments-là et ont acquis une vraie
expérience. Nous avons un comité technique en interne, animé par des
cadres et techniciens, nous avons constitué un groupe d'évaluation des
charges avec des adjoints chargés du dossier dans leur ville. Nous avons
pris connaissance de la complexité du dossier car il y avait eu, dans
la candidature de la France, un certain nombre de documents que nous
avons signés, des contrats de ville et des contrats de stade, qui
bordent un peu les marges du dialogue. Nous nous sommes posé plusieurs
questions : une première évaluation du coût que nous supporterions avec
les fans-zones. Sur ce point, nous allons faire appel à un consultant
extérieur pour évaluer de manière plus précise combien peut coûter cette
organisation dans chacune des villes. Nous nous sommes aussi interrogés
sur la taxe sur les spectacles, qui est une prérogative des villes,
mais toutes ne la mettent pas en place. Nous nous demandions si les
engagements signés par la France nous empêchaient de la mettre en place,
ce qui n'est finalement pas le cas. De plus, le principe d'une taxe sur
les spectacles a été accepté par l'UEFA. Nous avons également travaillé
sur une question importante : la demande de l'Union européenne faite à
la France pour valider les subventions publiques. Chaque ville
organisatrice a eu à remplir des fiches très détaillées, comprenant 140
questions, et nous nous sommes concertés sur la façon de répondre. Nous
avons aussi demandé à être représentés au comité de pilotage, ce qui a
été accepté par l'UEFA qui a parfaitement compris notre demande.
En amont de l'obtention par la France de
l'organisation de l'Euro 2016, avez-vous compris que certaines villes
renoncent à y participer ?
Les coûts de rénovation des stades sont très significativement
supérieurs à ce qui avait été demandé dans les compétitions passées, et
surtout avec une prise en charge majoritaire des grandes villes, aux
côtés des aides de l'Etat et des autres collectivités territoriales. A
Nantes ou Strasbourg, les évaluations des retombées étaient sans doute
insuffisantes au regard des coûts engagés. La plupart des autres villes
qui ont d'emblée accepté d'être candidates avaient la volonté de
reconstruire un vrai stade aux normes de 2011, c'est particulièrement le
cas à Lille ou à Nice, où les stades existants ne pouvaient pas
convenir longtemps pour des équipes jouant en Ligue 1. C'était un peu la
même chose à Bordeaux où une vraie question se posait, même si le stade
Chaban-Delmas est mieux adapté. Lyon est un cas encore différent où
l'actionnaire du club souhaitait vraiment avoir un stade de niveau
européen dont il soit propriétaire. Pour ce qui concerne Saint-Etienne,
nous avions déjà un grand stade de 35.000 places qui avait vieilli
depuis vingt ans et donc l'arbitrage de la collectivité s'est fait sur
cet ensemble. Dans une ville où le foot est très important, fait partie
de la culture populaire, avec des perspectives raisonnables d'avoir
durablement un rayonnement qui concourt à l'attractivité de la ville,
nous avons fait le choix de nous appuyer sur l'Euro 2016 pour franchir
un pas qualitatif dans l'offre de Geoffroy-Guichard que de toutes façons
nous aurions dû franchir un peu plus tard. C'est vrai que nous mettons
plus d'argent que nous en aurions mis pour une simple rénovation. Après
on peut dire qu'il y a des stades qui ont été faits en PPP (partenariat
public-privé), qui ont coûté beaucoup plus cher, ce sont des choix
locaux qui ont certainement été lourdement pesés, mais il y a des
explications objectives aux choix de toutes les villes.
L'organisation de l'Euro 2016 a-t-elle été l'occasion d'un débat sur le modèle économique des grands stades ?
Aujourd'hui, au sein du club des villes-hôtes, cette question est
derrière nous. Chacun l'a traitée il y a trois ans en fonction du
contexte local, de l'ampleur du projet, mais à l'époque le partage
d'informations a été moins important qu'aujourd'hui, c'est
incontestable. Toulouse et Saint-Etienne étaient dans une situation de
rénovation, le PPP pouvait aussi s'envisager dans ce cadre, tout comme
le bail emphytéotique. Nous avons mené une réflexion approfondie à
Saint-Etienne sur ces divers modèles et avons finalement considéré, avec
la volonté pour l'agglomération de maîtriser le budget
d'investissement, qu'on ne pouvait pas aller au delà de la rénovation.
On a préféré agir directement en maîtrise d'ouvrage public (MOP) avec un
dialogue compétitif qui nous a permis de discuter autour de quatre
projets. Tous ces investissements se sont accompagnés d'une remise à
plat du modèle économique liant le club à la collectivité, qu'on soit en
PPP ou en MOP. Pour Saint-Etienne, il y aura une revalorisation
importante, de l'ordre de x 2,5, de la redevance de l'ASSE pour utiliser
le stade. Dès lors que la qualité du stade n'est plus la même, ça nous
est apparu logique. C'est pareil dans les PPP, où les redevances des
clubs sont significatives.
Est-ce un anachronisme pour une ville d'être encore propriétaire d'un stade qui ne sert qu'à un club professionnel ?
Il n'y a pas aujourd'hui de modèle économique entre villes et clubs
qui s'impose de manière évidente. Chaque cas est différent, et il n'y a
pas qu'en France. On parle beaucoup des clubs qui sont propriétaires de
leurs équipements dans les pays européens, mais ce sont souvent de très
grands clubs qui jouent en permanence la Ligue des champions, ce qui
n'est pas le cas de tous les clubs. Il y a des tas d'endroits où les
équipements restent publics. L'avenir dira, en fonction du type
d'équipement, quelle est la meilleure solution. Dans le cas stéphanois,
je n'ai aucun doute sur le fait que le choix que nous avons fait est le
meilleur.
Les clubs devraient-ils devenir propriétaires de leur stade ?
Il y a une vision des choses qui consiste à dire que le football
ayant énormément évolué et intégré une part commerciale et financière
considérable, les stades doivent devenir privés, et qu'il faut aller
vers un système où l'argent privé ne s'appuie plus sur l'argent public
et génère une économie équilibrée. Avec cette logique poussée jusqu'à
son terme, on va vers le système américain de ligue fermée. Sinon les
investissements sont tels que le risque de relégation dans une division
inférieure va forcément réduire le nombre d'investisseurs à des cas très
peu nombreux. Veut-on amener le football à un système de ligue fermée ?
Je n'y suis pas favorable. Le football reste un sport avec des aléas
dont les aléas de la descente. Je ne suis pas favorable à des
championnats où on a trois équipes, toujours les mêmes, parce qu'il
existe un tel écart économique que les autres ne peuvent plus suivre. La
voie est de trouver un équilibre entre les considérations financières
et les considérations sportives, et ça passe par une plus grande
régulation mais pas par une privatisation. Le modèle économique n'est
donc pas stabilisé aujourd'hui. Avec Monaco, on voit que la question de
la fiscalité devient ingérable, on a besoin d'une plus grande régulation
au niveau européen et au niveau national peut-être aussi d'ailleurs. Je
préfère rester dans un système public-privé régulé. Il faut aussi
maîtriser l'argent public. On ne peut pas mettre des sommes folles. Et
que le sport garde la plus grande part de son incertitude.
Le club des villes-hôtes a annoncé travailler sur la
mise en place de "fans-zones" durant l'Euro 2016.
Comment ce dossier se
présente-t-il et les récents incidents du Trocadéro en marge des
célébrations du PSG vont-ils peser dans vos décisions ?
Une fans-zone peut être ouverte durant tout le tournoi et diffuser
tous les matchs, l'UEFA nous y autorise, ou ouverte pour certains matchs
seulement. Ce choix sera la responsabilité des maires. On a déjà avancé
sur des modalités très pratiques. Il y a des questions de droits
d'image, on ne peut pas être en contradiction avec les accords passés
par l'UEFA avec ses partenaires. Chaque ville aura une latitude très
importante pour déterminer la localisation de sa fans-zone donc sa
taille. On souhaite, en accord avec l'UEFA, donner à ces fans-zones une
orientation tournée vers la découverte et la promotion du football pour
tous. Dans l'animation, il y aura sans doute des choix différents d'une
ville à l'autre. Nous allions aborder les questions de sécurité des
fans-zones, et il est évident que ce qui s'est passé au Trocadéro va
modifier notre réflexion et va donner à cet aspect des choses encore
plus d'importance. On en tirera toutes les conséquences de façon à ce
que les choses se passent bien. Nous devons avoir un Euro 2016 festif et
débarrassé de toutes ces dérives inacceptables qui n'ont rien à voir
avec le football.(Source : Localtis)
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