Philippe Piat a accordé un entretien à France football du 18 juin. Le patron de l’UNFP, le syndicat des joueurs français, et de la FIFPro
Europe, le syndicat international, part en guerre contre les dérives, les
illégalités et les sommes folles qui régissent les transferts. Un combat qui
pourrait faire trembler la planète foot. Extraits.
"Si on ne réagit pas, c’est le
système tout entier qui sera en péril ! Tout le monde, à commencer par les
joueurs, va y perdre. C’est comme pour les agents. Nous, on dit que ce sont
les joueurs qui doivent payer leur agent, alors que ce sont les clubs où ils
arrivent qui le font actuellement. [...] Le problème n’est pas dans
l’économie que les joueurs vont faire avec ce
système de paiement des commissions par
les clubs. Il est dans la défense de l’intérêt des
joueurs. Quand un joueur a un agent qui est
“maqué” avec un club ou son président, les dés
sont pipés. Tout se fait dans le dos du joueur.
L’agent fait avaler un salaire à son gars, moins
élevé que celui qu’il pourrait avoir, parce que
lui va toucher une plus grosse commission par
le club. Moi, si je veux divorcer, ce n’est pas ma
femme qui va payer mon avocat !
"Je prétends que si le joueur
avait un agent qui n’est pas “maqué” avec le club – un avocat, un notaire
ou même son voisin de palier –, il aurait plus.
Il suffirait que le joueur ait 22.000 euros au lieu
de 20.000 euros de salaire mensuel pour qu’il
s’y retrouve et paye son conseil avec plus de
transparence sur les conditions de son transfert.
"On veut que le système soit plus sain pour voir plus loin. On veut
qu’il soit pérenne dans l’intérêt supérieur des joueurs, tous les joueurs. [...] Dans l’équilibre qui
avait été trouvé avec la Commission européenne, en 2001, on avait échangé
sur une période de stabilité de trois ans. Un joueur pouvait décider de partir
après trois ans de présence dans un club, mais ne pouvait pas le faire, de
son propre chef, en dessous de trois ans. C’était valable, sur cette période,
pour les joueurs de moins de vingt-huit ans. Pour ceux plus âgés, la période
protégée pour le club était de deux ans. La
contrepartie de cet échange était que les joueurs
pouvaient quitter leur club en payant les salaires
restant dus, ce qu’on a appelé le “rest value”.
C’était l’idée de base. Elle n’a quasiment jamais
été appliquée.
"Pour ne pas jouer avec
le feu avec cette période de stabilité, les clubs ont prolongé les joueurs en
augmentant souvent les salaires. Un joueur comme Mexès, après sept ans
à Auxerre, aurait pu démissionner à la fin de la saison, payer les salaires
restant dus et dire : “Ciao, je m’en vais !” Ce cas aurait dû installer dans les
faits ce règlement. D’autant que la Commission européenne voulait déjà
que le montant des transferts baisse. Or, aujourd’hui, les transferts ont
continué à exploser avec, en plus, des clauses de folie dans les contrats qui
n’ont aucune validité. On m’a dit que, pour Varane, il y a une clause de
250 millions d'euros au Real Madrid. Mais où on va ? C’est du délire ! Ça suffit !
On a l’impression que tout le monde est complice dans le milieu
pour préserver ce système et faire du business entre amis...
Mais quand je parle de bulle, c’est aussi ce que je veux dire. Le foot est
aujourd’hui dans un no man’s land juridique. Tout le monde se tient à ce
niveau. Le TAS et la FIFA sont complices. La Commission européenne dit
à la FIFA dans ses griefs de changer son règlement. La FIFA instaure une
période protégée qui en fait n’est pas une loi, mais une sorte de gentleman’s
agreement. Et quand le TAS vient gérer ce type de problème, il utilise le
droit suisse pour sortir de l’impasse. C’est une histoire de fou ! Le foot
utilise le droit suisse pour des dispositions qui ont été intégrées par le
droit communautaire. On se fout de la gueule du monde ! Maintenant, il
faut faire exploser tout ça une bonne fois pour toutes !
"Là, ça va être une
bombe ! Ça va révolutionner l’économie du foot et le système de façon aussi
radicale que Bosman. Tout va trembler ! Je suis sûr qu’on va gagner. La
question essentielle est de savoir comment faire le chemin jusque-là pour
ne pas être débouté sur le plan de la procédure. Mais quand elle sera bien
engagée, on sera “inarrêtable”. C’est ce que j’explique à mes partenaires de
la FIFPro. Quand on est allé avec Bosman, c’était le début du combat. Je vais
vous faire une confidence : on n’avait pas beaucoup de billes ! Aujourd’hui, j’en ai plein, des billes ! Il faut que
les clubs et les instances nous prennent très au sérieux. Au premier problème,
on attaque !
"Aujourd’hui, il y a
une disproportion au détriment des joueurs et en faveur des clubs, d’où ces
indemnités énormes qui ne correspondent plus à rien. Ce ne sera pas, non
plus, la fin du système des transferts. Mais les montants seront beaucoup
plus bas. On veut réguler, devenir plus raisonnable, avec des règles à
appliquer des deux côtés. Moi, je prétends même que le transfert est illégal. [...] Parce que, normalement, quand il y a un CDD entre un
employeur et un employé, celui qui prend l’initiative de la rupture doit
verser des dommages et intérêts. Sauf que, dans le football, il y a un tiers,
le futur club, qui vient se mêler à l’affaire et
règle l’indemnité de rupture de l’un des deux.
Ça n’existe nulle part ailleurs, et surtout pas en
droit ! On est dans l’illégalité totale ! Si un mec
de chez Peugeot veut se barrer chez Renault,
ce n’est pas Renault qui va payer un transfert.
Le salarié casse son contrat et accepte les
inconvénients de la rupture, les dommages et
intérêts s’il y en a et le préjudice à payer
éventuellement. Puis il refait sa vie
professionnelle.
"Il faudrait que les contrats signés aillent à leur terme, que les ruptures soient l’exception et qu’elles soient réglées par le rest value, peut-être avec
une sanction sportive si le joueur ou le club rompt la période de stabilité.
"J’avais rencontré Karl van Miert,
l’ancien commissaire européen à la Concurrence,
avant que Mario Monti ne le remplace. Van Miert
voulait que les joueurs aient cette liberté ou, tout
du moins, puissent casser leur contrat comme un
salarié normal. Après, il était convenu qu’il fallait rester au moins une
saison. Il est parti. L’UEFA et la FIFA ont alors réussi à démontrer à la
Commission européenne que si l’on permettait aux joueurs de résilier tous
les ans, les clubs allaient exploser. Monti a fait une lettre qui a débouché sur
cette période de stabilité qu’on a acceptée. On a “échangé” cette stabilité
contre la possibilité de liberté des joueurs, qui est, aujourd’hui, bafouée.
Maintenant, on a durci le ton auprès de la FIFA. On ne veut plus du tout
de cette période de stabilité. Nous, c’est au mieux une saison, et le droit de
tous les salariés.
"Je l’ai annoncé au conseil
stratégique de l’UEFA. C’était même à l’ordre du jour de la dernière réunion
avec l’accord de Michel Platini. Quand Umberto Gandini, le directeur
général du Milan AC, a vu ça, il a pris la parole. Il a dit que les clubs
européens ne voulaient rien changer. J’ai pris à mon tour le micro. J’ai dit
que j’avais déjà envoyé une lettre à Blatter pour lui signifier qu’on allait
engager une procédure contre le système des transferts. Putain, les têtes !"
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