Pages

mercredi 25 janvier 2017

Joseph-Antoine Bell : "En Afrique, on n'a pas de crèches mais on a des stades"



Joseph-Antoine Bell, ancien gardien de but du Cameroun, consultant sur la CAN, pour RFI, s'oppose vivement à la nouvelle augmentation du nombre d'équipes en Coupe du monde .

Joseph-Antoine Bell entre dans la salle de presse de Libreville, au Gabon. Il arrive de Port-Gentil, où il a commenté pour RFI - la radio avec laquelle il collabore depuis environ vingt ans - les matches de la veille. Le Lion indomptable poursuit sa CAN sur un rythme effréné. Un repas vite avalé et le voilà prêt pour une nouvelle rencontre. À soixante-deux ans, la silhouette est toujours affûtée. Bell paraît facilement dix ou quinze ans de moins. L'ancien gardien, passé par Marseille (1985-1988), Bordeaux (1989-1991) et Saint-Étienne (1991-1994), est un personnage à part, qui a érigé sa liberté de penser en mode de vie. Et ce n'est pas toujours facile au Cameroun, où il s'est créé de solides inimitiés. Cela ne l'a jamais freiné.
« Que pensez-vous de l'augmentation du nombre d'équipes en Coupe du monde à quarante-huit à partir de 2026 ?
C'est une hypocrisie. Comme d'habitude, on ne donne pas les vraies raisons. C'est un peu du Donald Trump. On veut plaire aux gens, on dit que c'est pour donner la chance à tout le monde... Mais ça dénature la compétition, qui est faite pour dégager les meilleurs. On parle de phase finale de la Coupe du monde. La Coupe du monde, elle, a commencé avec les éliminatoires et tout le monde y participe déjà.
En Afrique, les gens sont pour ce changement...
On leur a volé toute leur vie aux Africains, et les mêmes qui leur ont tout pris essaient de se rattraper en leur donnant des facilités qui ne mènent nulle part, qui sont en réalité discriminatoires. Les Africains doivent revendiquer d'être jugés comme tout le monde, pas à part. Ils doivent être dedans par le mérite. Notre continent n'a pas plus de chances de gagner la Coupe du monde car on a augmenté le nombre de participants. Les gens se laissent flatter.
L'impact sur les pays qualifiés est quand même immense, non ?
Oui mais si vous y allez comme des porteurs de sacs... Si les Africains veulent être vus comme des petits... qui viennent faire un tour, ça sert à quoi ? On a commencé à seize, pourquoi s'arrêter à quarante-huit alors, allons plus loin, ça fera plaisir à encore plus de monde. Ça n'a pas de sens. Quand Ali a boxé en Afrique (en 1974, à Kinshasa contre George Foreman) , tout le monde s'est levé. Pour Tyson, pour Holyfield aussi, on se levait. Et ce sont des Américains. Andre Agassi contre Jim Courier, tout le monde regardait... Il faut faire la promotion de la qualité. C'est ce qui pousse les gens à rêver. On ne met pas les footballeurs du dimanche matin en phase finale de Coupe du monde.
Êtes-vous déçu par l'évolution du football africain ?
Je suis mille fois déçu, et voilà que nos dirigeants votent pour une Coupe du monde à quarante-huit. On ne peut pas progresser. Quand il y a des gens qui pensent que le football ne commence pas par les footballeurs...
Ne faudrait-il pas redonner le foot aux footballeurs ?
Non ! Ce genre de phrase est démagogique et ridicule. Aucune grande entreprise ne marcherait sans ses ouvriers, mais ce sont les ingénieurs, les architectes, je m'excuse de le dire, qui réfléchissent, qui donnent le point de départ. Il faut simplement aimer le foot, être footeux.
Comment jugez-vous l'évolution des Coupes d'Afrique des nations ?
Malheureusement, tout le monde copie ce que (Sepp) Blatter a fait pour la FIFA. Quand vous arrivez dans une ville, le plus bel édifice est le stade, c'est le plus coûteux... Ça devrait interpeller. On est arrivé à avoir un cahier des charges ridicule avec des stades de 25 000 places dans des villes qui comptent moins de 25 000 habitants... On n'a pas de crèches mais on a des stades. Aujourd'hui, je ne veux pas citer de pays, mais il y a des chèvres qui broutent sur une pelouse. 
(...)


(L'Equipe)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire