Six mois après son arrivée dans un ministère de plein exercice aux compétences élargies - Sport, Jeunesse, Education populaire et Vie associative -, Valérie Fourneyron m'a reçu pour un vaste tour d'horizon de ses dossiers. Pour celle qui fut député-maire de Rouen, les élus territoriaux doivent être plus présents dans les instances sportives, qu'il s'agisse du CNDS ou de la Cerfres. Autre question prioritaire : le financement des associations.
Le Centre national pour le développement du sport (CNDS) est le principal instrument de l'Etat pour orienter sa politique sportive. Or vous avez dénoncé la "dérive de la tutelle de l'établissement". Quelle est aujourd'hui sa situation ?
Valérie Fourneyron - La situation du CNDS est le résultat d'un système qui a conduit à ce que, au fur et à mesure des années, on engage des dépenses en ajoutant des strates ou des dispositifs, sans véritablement prendre garde à leur soutenabilité dans le temps, en se disant qu'au pire, on demanderait des recettes en plus à la Française des jeux... Certes, les presque 500 millions d'euros de dettes qu'aurait accumulé l'établissement fin 2012 si l'on s'en tenait à son budget prévisionnel n'auraient pas dû être honorées en totalité en 2013. Il s'agit d'engagements pluriannuels. Mais à un moment donné, quand vous engagez plus que ce que vous avez dans votre porte-monnaie, vous vous retrouvez dans une impasse avec, très rapidement, une trésorerie négative qui menace la survie de la structure. Par exemple, les engagements pris pour l'Euro 2016 de football portent sur 160 millions d'euros pour 120 millions de recettes programmés. Ce sont donc pas moins de 40 millions d'euros qui pèsent sur la trésorerie du CNDS. On a ensuite annoncé une enveloppe pour les arénas de 50 millions d'euros, mais celle-ci n'a jamais existé en tant que telle puisqu'il n'y avait aucune recette en face et qu'aucune dépense n'a été réduite en contrepartie. Le dernier exemple, le plus flagrant, est celui des compétitions internationales. En 2008, il y avait zéro euro au budget du CNDS pour ces compétitions. Or sur 2012, nous avons engagé pas moins de 25 millions d'euros à ce titre (Jeux équestres mondiaux, Ryder cup…), une nouvelle fois sans aucun financement nouveau permettant de les prendre en charge. Ce sont ces sommes-là – qui, pour certaines, s'étalent sur plusieurs exercices et, pour d'autres, doivent être financées en totalité dans l'exercice en cours – qui conduisent à la situation actuelle. Si nous n'avions rien fait, la trésorerie aurait été déficitaire de 20 millions d'euros dès 2013, remettant en cause la capacité de l'établissement à soutenir les territoires et l'existence même du CNDS.
Comment en est-on arrivé là ?
Avec le temps, il a été basculé sur le CNDS des projets, des
programmes et des annonces qui n'ont pas bénéficié de moyens
complémentaires. Personne n'a regardé le cumul des dépenses engendrées
par les décisions successives, on s'est contenté de les ajouter sans
établir de priorités ou, plus précisément, en s'éloignant
progressivement de celles qui ont fondé le CNDS : le sport pour tous.
Mais parallèlement, alors qu'on prenait des décisions qui pouvaient
s'étaler sur plusieurs années, les dépenses quotidiennes ont continué,
bercées par l'illusion que le confortable fonds de roulement (il était
de près de 80 millions d'euros en 2008) était éternel. Mais quand toutes
les réserves sont épuisées - et c'est le cas fin 2012 puisque ce fonds
de roulement est désormais proche de zéro -, la situation bascule
dangereusement.
Comment garantir le CNDS de telles dérives ?
Tout d'abord, il faut avoir conscience qu'il est beaucoup plus facile
et rapide de dégrader les comptes d'un établissement que de les
rétablir. Le plan de redressement que j'ai proposé à l'établissement, et
qui a été adopté avec un très large soutien des administrateurs,
s'étale donc sur plusieurs années. Il s'agit d'argent public qu'il faut
réorienter. C'est le rôle de l'Etat, à travers sa tutelle. Une
tutelle qui aurait dû s'exercer beaucoup mieux. Cette année, j'ai
adressé au directeur général de l'établissement une note d'orientation
qui recentre le CNDS sur ses priorités originelles, à savoir
l'accompagnement du développement de la pratique pour tous, le sport
dans les territoires. J'ai à la fois insisté sur ces priorités et donné
beaucoup de souplesse dans leur exécution pour accorder plus de poids
aux élus des territoires. Aujourd'hui, les financements locaux sont
beaucoup plus importants que les financements nationaux sur le sport.
Dans les commissions territoriales du CNDS, il faut que les élus aient
une voix qui ne soit pas simplement consultative, c'est indispensable.
Quelles doivent être les priorités du CNDS ?
Le meilleur exemple consiste à regarder les choix qui ont été faits
lors du dernier Conseil d'administration du CNDS en novembre. Il était
prévu d'engager 23 millions d'euros supplémentaires du CNDS.
Parallèlement, l'addition de toutes les demandes de subventions pour des
équipements s'élevait à 1,2 milliard. Il est donc évident qu'on ne peut
dire "oui" à tout et qu'il faut faire des arbitrages. Où l'Etat est-il
vraiment bras de levier ? Où l'Etat est-il le plus utile ? Quand on a un
tel décalage, n'est-on pas plus utile à accompagner des territoires
prioritaires ? Certains territoires ont moins d'équipements sportifs que
d'autres. La réorientation ferme du CNDS, assortie du redressement de
ses comptes, est l'occasion de redéfinir vraiment notre responsabilité
collective et conduire nos priorités en revoyant la façon dont
fonctionne le CNDS, tant dans les commissions territoriales que dans ses
critères de programmation. Le mouvement sportif l'a bien compris.
La priorité pour vous, ce ne sont donc pas les grands équipements ?
Non. La priorité doit aller au développement de la pratique du sport
pour tous, en concentrant les moyens vers les territoires ou les publics
qui ont le plus besoin d'une aide de l'Etat. Et puis les collectivités
ont aussi envie de se saisir de la question des grands équipements.
Justement, quelle place les collectivités peuvent-elles prendre dans le fonctionnement du CNDS ?
Aujourd'hui, il faut très clairement redonner plus de poids aux élus
des territoires. J'appelle de mes voeux des schémas régionaux qui seront
définis en concertation avec, à la fois, les services déconcentrés de
l'Etat, les élus des territoires et le mouvement sportif. C'est au
niveau régional qu'on peut le mieux connaître les spécificités de tel ou
tel territoire. Il y a des orientations générales, mais il existe aussi
le besoin de prendre en compte les spécificités de chaque territoire.
Mon message est le suivant : priorité à l'enveloppe territoriale du
CNDS. C'est donc elle qui est le moins impactée par le plan de
redressement. Priorité au retour d'une vraie place des élus autour de la
table et à une grande souplesse par rapport aux orientations, afin de
prendre en compte les particularités, les besoins et les retards en
matière d'équipements dans chaque région. Tout cela doit s'effectuer
dans la co-construction avec le mouvement sportif.
Pour vous qui êtes attachée au sport santé, le
baptême du palais des sports de Rouen, votre ville, d'après une marque
de friandises (Kinder, du groupe Ferrero) pose-t-il problème ?
Sur les grands équipements, l'argent public ne peut pas être seul au
rendez-vous. Les collectivités ont besoin de partager avec d'autres
acteurs privés. De plus, des entreprises, quel que soit leur secteur
d'activité, ont sur les territoires envie de participer à un projet
collectif. Il se trouve que l'entreprise Ferrero participe depuis des
années à la fois au soutien du mouvement sportif et, bien au-delà,
entretient un important partenariat national avec le Secours populaire
français. Cela fait partie de la culture de cette entreprise d'être
citoyenne sur son territoire.
Le sport professionnel ne génère-t-il pas
suffisamment d'argent pour devenir propriétaire de son outil de travail
qu'est le stade ?
Oui, je continue à le penser. Quand on évolue dans un sport comme le
football, qui peut générer autant de ressources, on doit améliorer son
outil de travail et ne pas en permanence prétendre à la fois être des
sociétés commerciales tout en demandant de l'argent public pour ses
équipements. L'évolution se fait progressivement. A côté de cela, le
sport professionnel a un impact important sur les territoires, ce qui
conduit les élus à considérer qu'ils doivent accompagner cette économie
particulière. A Lyon, la garantie d'emprunt [en faveur de la
construction du stade de l'Olympique lyonnais, ndlr] est une décision
des élus départementaux. Chacun fait ses choix et rend compte auprès de
ses électeurs, c'est la démocratie.
Au chapitre des normes, vous souhaitez un
renforcement de la Commission d'examen des règlements fédéraux relatifs
aux équipements sportifs (Cerfres). En quoi va-t-il consister ?
Certains élus déplorent une "incontinence normative", d'autres
dénoncent un "diktat" des fédérations. Sur ce registre, il y a
actuellement une véritable insatisfaction de la part des élus, qui ne
peuvent pas peser suffisamment sur l'évolution de ces normes, ni sur les
délais imposés par les fédérations pour effectuer des travaux de mise
aux normes des équipements. Il faut donc une Cerfres renforcée,
c'est-à-dire avec une majorité tenue par les élus, avec une notice
d'impact dont les exigences seraient considérablement accrues, et un
lien permanent de concertation avec la CCEN [Commission consultative
d'évaluation des normes, ndlr], dont des membres siègeraient à la
Cerfres. Je souhaite également qu'il y ait un rapport annuel de la
Cerfres porté auprès de la CCEN et qu'il puisse y avoir une instance
d'appel au sein de la CCEN en cas d'avis défavorable. En termes de
calendrier, nous travaillons dans le cadre du Conseil national du sport
dont la Cerfres deviendrait une instance. On s'est fixé au plus tard le
tout début de l'année 2013 pour mettre cela en place.
Ce Conseil national du sport, en quoi différera-t-il des initiatives de vos prédécesseurs ?
Le Cnaps [Conseil national des activités physiques et sportives,
ndlr] a fait les frais de la RGPP. L'Assemblée du sport de Chantal
Jouanno – j'y étais – était très importante avec 350 personnes.
L'instance proposée par David Douillet était au contraire extrêmement
restrictive et ne montrait pas le rayonnement du ministère des Sports
dans de nombreux champs, comme l'emploi ou l'aménagement du territoire.
Le Conseil national du sport sera équilibré pour permettre d'avoir une
véritable instance consultative qui mette tous les acteurs autour de la
table : le mouvement sportif, l'ensemble des représentants sociaux, les
entreprises, les autres ministères, les grandes instances qui
accompagnent nos politiques comme le CSA et la Cnil…(Interview à retrouver sur Localtis)
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