lundi 17 juin 2013

Pascal Donnadieu : "C'est parfois difficile pour le maire d'expliquer au conseil municipal pourquoi on nous donne autant d’argent"

Extraits d'une entretien accordé par Pascal Donnadieu, entraîneur de Nanterre, champion de France de basket, à L'Equipe du 17 juin 2013.
– La mairie a un droit de regard sur la manière dont vous utilisez l’argent ?
– Non. Evidemment, comme il y a un protocole d’accord avec la ville, ils nous demandent des comptes. Mais ils ont une grande confiance et ils ne nous titillent pas sur le sportif. L’avantage, c’est qu’on est des Nanterriens, on connaît les mentalités et on sait qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire.

– Un club pro et désormais champion de France, dans une ville communiste, c’est une bizarrerie à vos yeux ?
 – Non. Ville communiste, déjà, il faut savoir de quoi on parle. On est dans une ville où la mairie nous a toujours aidés, même souvent très bien aidés.
– Si votre association avec la mairie dure depuis si longtemps, c’est que vous avez des convergences d’idées, pas forcément politiques, mais sur le sport, son rôle dans une ville, non ? 
– Ce n’est pas de la politique à proprement parler mais, avec la mairie, on est en phase sur le pourquoi de la présence d’un club de basket de haut niveau à Nanterre. Elle estime qu’on peut être moteur dans la ville, qu’on véhicule des valeurs qu’elle a envie de développer, qu’on peut servir de modèle à des gamins qui galèrent. Ainsi, on a toujours soigné la formation : avoir une équipe professionnelle sans un secteur jeunes ne nous intéresse pas.
– Gilles Smadja, directeur du cabinet du maire de Nanterre, a récemment dit dans ces colonnes : ”Avec eux (les Donnadieu), on n’est pas dans le sport business.” 
– Oui, mais ça veut dire quoi, le sport business ? On est bien obligés d’en faire du business, de composer avec, de faire du commerce, de vendre nos mérites à des sponsors. Tant qu’on est dans une certaine limite, il n’y a pas de souci. Je pense que la mairie se sent rassurée parce que nous-mêmes nous ne nous sentons pas prêts à faire n’importe quoi et à vendre notre âme.
– Jusqu’à jeudi soir dernier, vous étiez encore une association de loi 1901. Pourquoi ? 
– Je ne saurais pas dire précisément, mais ce n’était pas une volonté de rester en association. On travaillait à notre passage en société depuis quelques mois mais, à mes yeux, on est une entreprise depuis longtemps. A partir du moment où tu as des salariés, un budget de 2,7 millions d’euros, tu n’es plus une association. J’ai demandé, naïvement, ce qu’allait changer ce passage. Visiblement pas grand-chose. Mais, au niveau des statuts, il fallait qu’on change.
– La mairie a commencé à vous aider en 1989, à l’époque où vous étiez amateurs. Avez-vous un jour senti que le passage au professionnalisme la dérangeait ? 
– Non. On ne parle pas de communistes à l’ancienne, là. Ils vivent avec leur temps. Ils n’ont pas envie qu’on bascule dans le basket avec des mercenaires, mais comme nous non plus, ce n’est pas notre truc… A la limite, la difficulté n’est pas entre nous et le maire. Ce qui est plus difficile pour lui parfois – on en a discuté –, c’est d’expliquer à ses alliés politiques ou au conseil municipal pourquoi on nous donne autant d’argent. Mais ce sont leurs discussions, on ne s’immisce pas là-dedans.
– Il paraît qu’au début de l’histoire la mairie de Nanterre, déjà communiste, ne vous voyait pas d’un bon oeil, vous considérant comme ”un club de curés”.
– C’est vrai. La réputation des patronages, c’était ”curés et club de droite”. Il y avait le club omnisports d’un côté et nous de l’autre. On était un peu les vilains petits canards.
– Imaginons qu’un gros partenaire arrive avec beaucoup d’argent. Vous le laisseriez entrer ?
– Oui ! D’ailleurs, on y travaille. On considère que nos valeurs nous ont fait réussir, mais nous ne sommes pas un club fermé, opaque, qui ne veut pas entendre parler de passage en société ou de sponsors. Après, il y a deux cas de figure. 1. On nous dit : ”On aime bien votre façon de travailler, on va vous donner plus d’argent pour continuer dans votre logique.” Aucun problème. 2. On nous dit : ”On vous donne de l’argent pour tout changer.” Là, je ne m’y opposerais peut-être pas parce que ce serait le moyen de grandir, mais ça se ferait avec d’autres hommes.
– Et la mairie de Nanterre ? Serait-elle défavorable à l’arrivée d’un gros sponsor ? 
– Non, elle y travaille même avec nous. Mais, si demain on leur dit qu’on bâtit une grosse équipe et qu’on abandonne le rôle social, ça n’ira pas. La mairie nous a toujours dit : ”On veut bien vous donner de l’argent, mais on veut que vous ayez un rôle éducatif et social.” Dans certains clubs professionnels, les joueurs rendent visite toutes les semaines aux partenaires, comme le supermarché du coin. Ici, nos joueurs sont plutôt sollicités pour aller dans les quartiers. Hier (mercredi), j’étais dans un collège, avec des joueurs, pour remettre des médailles. C’est notre taf.
– Pensez-vous, à travers votre parcours jusqu’au titre de champion de France, envoyer un mes- sage qui dépasse le sport, pres- que un message politique ? 
– Un message politique, c’est un peu fort. Par contre, oui, on a montré qu’avec beaucoup de solidarité, d’en- vie, de travail on peut repousser ses li- mites. Et je suis convaincu que dans les villes de banlieue, c’est bien qu’il y ait quelque chose qui montre aux habitants qu’on peut y arriver. La mairie est contente parce que le message, c’est aussi qu’on peut y arriver en ayant un peu moins de moyens que les autres et en ne partant pas forcément à égalité.

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.