Depuis plus d’un an, l’ancien président du RC Lens s’est battu, seul, pour reprendre le contrôle d’un club qu’il a dirigé de 1988 à 2012. Tour a commencé alors que
tout semblait fini. Le 2 juillet 2012,
Gervais Martel, cinquante-sept ans à
l’époque, est contraint de démissionner du poste de président du
RC Lens qu’il occupait depuis 1988.
Le Crédit agricole Nord de France
(CANF) prend le contrôle du club en devenant actionnaire majoritaire. A sa sortie
de l’hôtel du golf
d’Arras (Pas-de-Calais), Martel a convié
quelques journalistes
à trinquer sur la terrasse qui surplombe
les greens ensoleillés. Souriant, il
paye sa tournée, agite un billet.
"C’est peut-être l’un de mes derniers,
profitons-en", ironise-t-il.
Certains ont alors prédit trop vite sa
déchéance. Il est vrai qu’il a alors
presque tout perdu, au point de se
faire prêter une Renault Velsatis par
un ami garagiste, sa "diligence"
comme le taquinent ses amis. Mais
pas sa rage de revenir aux commandes d’un club qui lui manque physiquement, au sens littéral du terme. Alors, il repart de zéro, en quête d’investisseurs.
A Michel Faroux, directeur général adjoint du CANF, il affirme : "Je reviendrai !" A Antoine Sibierski, directeur sportif du club,
qu’il croise à la Gaillette dans son ancien bureau alors qu’il était venu retirer quelques dossiers, Martel lance : "Profites-en bien, cela risque de
ne pas durer !"
Cela a quand même pris un an. Une
année pendant laquelle l’ex-président, très discret, a souvent assisté
aux entraînements de son club, à la
Gaillette, appuyé sur la main courante.
A Lens, sa cote semble intacte,
comme en témoigne l’ovation du public lors d’un match de préparation
d’avant saison, le 14 juillet 2012, à
Arras. Il assiste régulièrement au
stade Bollaert-Delelis, parfois avec
sa fille, aux rencontres de L2. Là,
dans l’espace privilège de l’enceinte,
les témoignages d’affection se multiplient. Les comportements distants
aussi. Le "prési" ne se démonte pas.
Et cherche son salut sans relâche,
costume cravate impeccable. Etape
par étape.
Il avait d’abord noué un accord de
prêt avec Alain Daniel, un trader
français exerçant à Londres. Puis,
fin septembre 2012, il prend le chemin de l’Azerbaïdjan et du FC Bakou.
Depuis Lille, Hafiz Mammadov, homme d’affaires azerbaïdjanais, président du club et du Baghlan Group, un
mastodonte économique du pays
(dans les secteurs de la banque, du
pétrole, du gaz, de la construction et
des transports), a affrété un avion
privé de huit places. Direction Bakou
pour trois jours intenses. A bord,
Martel, un ami et trois anciens
joueurs ou entraîneur de Lens : Olivier Dacourt (1999-2000), Jocelyn Blanchard (1999-2003) et
Jean-Pierre Papin (2007-2008). La piste azerbaïdjanaise a été facilitée par Nenad Kovacevic, l’ancien milieu
défensif lensois, sous
contrat au FC Bakou.
Martel et Mammadov, passionné de foot et d’art, se
sont trouvé des points communs. Au
point d’envisager un partenariat
d’échange de savoir-faire autour de
la formation des jeunes, puis de mettre sur pied un projet de reprise du
club. Mammadov a invité Martel une
première fois à assister au match aller de la Supercoupe d’Espagne Barça-Real (3-2, le 23 août). Il connaît le
parcours du Nordiste, l’histoire du
RC Lens et la volonté du CANF d’un
désengagement rapide. Il veut développer le football de son pays après
avoir investi à l’Atlético Madrid et au
FC Porto. En attendant l’Angleterre.
L’Azerbaïdjan rêve aussi d’accueillir
une antenne du musée du Louvre,
après Abu Dhabi et… Lens. Et le
principal concurrent azerbaïdjanais
du Baghlan Group, SOCAR, vient de
signer un accord de partenariat avec
l’UEFA…
Les échanges, en anglais, s’accélèrent par avocats interposés. Martel
se rend à deux nouvelles reprises en
Azerbaïdjan, en novembre 2012
avec JPP et Blanchard, et au printemps, seul. C’est le cabinet parisien
Clifford Chance et l’avocat Laurent
Schoenstein qui gèrent ses intérêts
commerciaux. La difficulté des pourparlers tient parfois aux différences
culturelles, aux décalages horaires
et au fait qu’Hafiz Mammadov, dont
la société est basée à Dubaï, coure le
monde entouré de conseillers diplômés. A différents niveaux, Martel s’appuie sur sa garde rapprochée : Didier
Lignier, propriétaire du golf d’Arras
et de la société d’informatique NCS,
Jocelyn Blanchard, ancien directeur
sportif qui retrouverait ses fonctions,
Patrick Valcke, conseil de Jean-Pierre
Papin, amené à récupérer son poste
de directeur de la communication, et
Xavier Thuilot, ex-DG du LOSC
(2002-2009).
Martel, dit-on, a changé son approche, reconnu ses erreurs. Il sera plus
pointu sur le choix des hommes. Et
misera sur le potentiel populaire du
club redécouvert cette saison lors du
quart de finale de Coupe de France
contre Bordeaux (2-3, le 17 avril).
Le projet de reprise prend enfin forme.
A Monaco, dès le lendemain de
la finale de la Coupe d’Espagne (Real
Madrid-Atlético : 1-2, le 17 mai), et
durant trois jours, il rencontre Mammadov, qui lui signe une lettre d’intention concernant le prêt des fonds
nécessaires pour racheter un club.
Ce document est porté à la connaissance du CANF début juin. D’âpres
discussions ont abouti, le 14 juin, à
une négociation exclusive. Ce
qui signifie que l’offre du fonds d’investissement luxembourgeois Mangrove Capital Partners est définitivement
écartée. La banque régionale a jusqu’au 30 juin pour finaliser un Self
Purchase Agreement (SPA), c’est-à-dire pour confirmer
l’ensemble des modalités de l’offre et les faire parapher
par Martel et Mammadov dans les moindres petits détails. Ce processus est placé sous le sceau de la plus grande confidentialité. Et, au club, pendant ce temps, rien ne
peut évoluer sans les accords du vendeur et de l’acheteur.
Une fois les documents signés, le transfert d’actions doit
intervenir au tout début de juillet.
La direction nationale du contrôle de gestion (DNCG),
chez laquelle le club artésien est convoqué le 18 juin, a déjà été prévenue de ce changement d’actionnariat. La veille, à midi, tous les salariés du RC Lens seront
conviés à une réunion à la Gaillette, où leurs seront expo-
sées les grandes lignes des changements à venir.
Via une holding créée pour l’occasion, Martel et Mammadov procéderont à une augmentation de capital de plusieurs millions d’euros. Elle leur donnera l’entière propriété du club. Des liquidités seront également injectées
dans le compte courant. L’objectif est de remonter prioritairement en L1 dans les deux saisons à venir. Sept
joueurs, au moins, doivent venir renforcer l’effectif actuel. Le temps presse : le marché des transferts est ouvert
depuis le 11 juin. Mais, après celui de l’organigramme du
club où de gros changements sont à venir, le cas de l’entraîneur sera débattu prioritairement. Pour rappel, Eric
Sikora ne possède pas l’indispensable diplôme d’entraîneur professionnel de football nécessaire pour s’asseoir
sur le banc.
(Source : L'Equipe)
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