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jeudi 20 février 2014

JO : le Club France, entre convivialité et business

LE RITUEL est immuable. À chaque fois qu’un athlète français décroche une breloque aux Jeux, il doit célébrer son résultat au club France, le lieu de rendez-vous de la famille olympique lors des JO.
À Sotchi, la tradition a été respectée : les Français médaillés y déclament un petit discours sur scène, avant d’arroser leur auditoire de champagne sous les vivats de la foule et les flashes des photographes. Cette tradition est peut-être le seul point commun entre les différents clubs France depuis la création du premier, en 1988. Car l’institution n’a cessé d’évoluer, sous l’influence grandissante du sport-business.
«En créant le club France, on souhaitait susciter une dynamique interdisciplinaire au sein de l’équipe de France olympique, explique PierreGuichard, l’ancien directeur de la préparation olympique. L’idée, c’était que les athlètes s’y rencontrent régulièrement, afin qu’ils se soutiennent les uns les autres pendant la compétition. »
Le tout premier est donc établi aux Jeux de Calgary (Canada), en février 1988, pour un budget équivalent à 430.000 euros actuels. «On était plus ou moins les invités d’un conseil général, confie Guichard. Ce n’était qu’une amorce.» À l’écouter, l’histoire des clubs France débute réellement en septembre 1988, aux Jeux de Séoul. Inspiré par le modèle des casa Italia, ces pavillons de la culture italienne qui existaient de longue date aux Jeux Olympiques, le club France de Séoul fête dignement les médaillés, tout en mettant en avant la gastronomie française. «C’était table ouverte ! Une fois que vou saviez récupéré une carte d’accès, vous pouviez manger à l’oeil», se souvient Jean Poczobut, ancien président de la Fédération française d’athlétisme, à l’époque adjoint de Pierre Guichard. Ce dernier résume l’état d’esprit de l’époque : «La convivialité était primordiale.» L’institution est alors financée par une aide de l’État et la nourriture fournie gratuitement par des mécènes parfois étonnants (l’Union interprofessionnelle des vins du Beaujolais, les foies gras Rougié…).
Cette notion de convivialité se prolongera, même si, lors de certaines éditions des Jeux, les athlètes français se sont parfois plaints du manque d’ambiance au club France. En 1996, à Atlanta, le restaurant Les Halles est ainsi devenu le quartier général des Bleus, au détriment du club installé dans un salon privé et fréquenté habituellement par des avocats. Mais les principales évolutions sont ailleurs.
D’abord, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui prend le relais de la préparation olympique dans l’organisation des clubs France dès 1992, accorde au fil des années de plus en plus de place aux médias accrédités aux Jeux. S’il n’y a qu’un studio (celui de Radio France) à Séoul, le club France de Londres (en 2012) en accueille sept. L’endroit est devenu notamment stratégique pour les télévisions non détentrices des droits de retransmission. Elles voient dans les conférences de presse organisées au club France un moyen gratuit d’obtenir des images des champions. De plus, le CNOSF a ouvert progressivement son lieu de vie à ses partenaires. Ces derniers ne se contentent plus d’y apporter gratuitement de la nourriture, ils souhaitent désormais y inviter des clients influents et y installer des stands. À Londres, une partie des 7000m² du club France leur était ainsi réservée. Cet élargissement progressif des missions s’est logiquement accompagné d’une augmentation des coûts, notamment lors des Jeux d’été: le budget du club France atteint 3 millions d’euros à Pékin (2008) et grimpe jusqu’à presque 10 millions d’euros à Londres. «Pour cette édition, on est clairement passés dans une autre dimension, note Serge Valentin, président de Fair Play Conseil, agence de conseil en communication et marketing, et ancien cadre du CNOSF. Jusque- là, le club France était réservé à la famille olympique. Cette fois, il y avait la volonté d’y faire entrer le grand public. L’idée était de le financer avec des entrées payantes et la location d’espace aux partenaires. Le pari était très ambitieux.»
Du point de vue de l’image, la réussite est incontestable : le club France de Londres a été une sorte d’ambassade incontournable du sport français, le président de la République, François Hollande, lui a même fait l’honneur d’une visite. Du côté des finances, le bilan est plus douteux. Si Denis Masseglia, le président du CNOSF, affirme que l’expérience a fait perdre 500.000 euros à son organisation, un rapport établi en mai 2013 par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports dévoile que la différence entre les recettes et les dépenses générées par le projet aboutit à un déficit de 3,2 millions d’euros. Un résultat qui pourrait expliquer le budget assez faible du club France de Sotchi (300.000 euros).
La réduction de voilure ne remet néanmoins pas en cause la politique de la main tendue vers les partenaires, comme l’illustre ce témoignage de Thierry Martinez, directeur de la communication de la Caisse d'épargne : «À Sotchi, nous avons une cinquantaine d’invités : des collaborateurs, des clients, des leaders d’opinion…. Et le club France leur a permis de vivre des moments d’exception : ils ont pu par exemple rencontrer des anciennes championnes, comme Florence Masnada, et célébrer la médaille de Coline Mattel. En sortant, certains m’ont dit : “On a vécu des moments qu’on n’imaginait pas.” »
Reste une question : l’évolution «marketisante» du club France ne se fait-elle pas aux dépens de son objectif initial, celui de la convivialité ? « Non, parce que son fonctionnement est plus pro désormais, affirme Sandra Laoura, ancienne skieuse de freestyle, qui s’occupe désormais de l’accueil des athlètes au club France. Par exemple, quand j’ai eu ma médaille de bronze (bosses), à Turin, en 2006, rien n’avait été prévu pour ma famille, repartie le soir même. À Londres, on avait tout organisé à l’avance pour que les médaillés puissent fêter ça avec leurs proches au club France au premier étage, qui leur était réservé…» Juste au-dessus des stands des partenaires du CNOSF.

(L'Equipe)

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