LE RITUEL est immuable. À chaque
fois qu’un athlète français décroche
une breloque aux Jeux, il doit célébrer
son résultat au club France, le lieu de
rendez-vous de la famille olympique
lors des JO.
À Sotchi, la tradition a été
respectée : les Français médaillés y déclament
un petit discours sur scène,
avant d’arroser leur auditoire de
champagne sous les vivats de la foule
et les flashes des photographes. Cette
tradition est peut-être le seul point
commun entre les différents clubs
France depuis la création du premier,
en 1988. Car l’institution n’a cessé
d’évoluer, sous l’influence grandissante du sport-business.
«En créant le club France, on souhaitait
susciter une dynamique interdisciplinaire
au sein de l’équipe de
France olympique, explique PierreGuichard,
l’ancien directeur de la préparation olympique.
L’idée, c’était que les
athlètes s’y rencontrent régulièrement,
afin qu’ils se soutiennent les uns les
autres pendant la compétition. »
Le
tout premier est donc établi aux Jeux
de Calgary (Canada), en février 1988,
pour un budget équivalent à 430.000
euros actuels. «On était plus ou moins
les invités d’un conseil général, confie
Guichard. Ce n’était qu’une amorce.» À
l’écouter, l’histoire des clubs France débute
réellement en septembre 1988,
aux Jeux de Séoul. Inspiré par le modèle
des casa Italia, ces pavillons de la
culture italienne qui existaient de longue date aux
Jeux Olympiques, le club
France de Séoul fête dignement les
médaillés, tout en mettant en avant la
gastronomie française. «C’était table
ouverte ! Une fois que vou saviez récupéré
une carte d’accès, vous pouviez
manger à l’oeil», se souvient Jean Poczobut,
ancien président de la Fédération
française d’athlétisme, à l’époque
adjoint de Pierre Guichard. Ce dernier
résume l’état d’esprit de l’époque : «La
convivialité était primordiale.» L’institution est
alors financée par une aide
de l’État et la nourriture fournie gratuitement
par des mécènes parfois étonnants
(l’Union interprofessionnelle des
vins du Beaujolais, les foies gras Rougié…).
Cette notion de convivialité se
prolongera, même si, lors de certaines
éditions des Jeux, les athlètes français
se sont parfois plaints du manque
d’ambiance au club France. En 1996, à
Atlanta, le restaurant Les Halles est
ainsi devenu le quartier général des
Bleus, au détriment du club installé
dans un salon privé et fréquenté habituellement
par des avocats.
Mais les principales évolutions sont
ailleurs.
D’abord, le Comité national
olympique et sportif français (CNOSF),
qui prend le relais de la préparation
olympique dans l’organisation des
clubs France dès 1992, accorde au fil
des années de plus en plus de place
aux médias accrédités aux Jeux. S’il n’y
a qu’un studio (celui de Radio France)
à Séoul, le club France de Londres (en
2012) en accueille sept. L’endroit est devenu
notamment stratégique pour les
télévisions non détentrices des droits
de retransmission. Elles voient dans
les conférences de presse organisées
au club France un moyen gratuit d’obtenir
des images des champions. De
plus, le CNOSF a ouvert progressivement
son lieu de vie à ses partenaires.
Ces derniers ne se contentent plus d’y
apporter gratuitement de la nourriture,
ils souhaitent désormais y inviter des
clients influents et y installer des
stands. À Londres, une partie des
7000m² du club France leur était ainsi
réservée.
Cet élargissement progressif des
missions s’est logiquement accompagné
d’une augmentation des coûts,
notamment lors des Jeux d’été: le budget
du club France atteint 3 millions
d’euros à Pékin (2008) et grimpe jusqu’à
presque 10 millions d’euros à Londres.
«Pour cette édition, on est clairement passés dans une autre
dimension, note Serge Valentin, président
de Fair Play Conseil, agence de
conseil en communication et marketing,
et ancien cadre du CNOSF. Jusque-
là, le club France était réservé à la
famille olympique. Cette fois, il y avait
la volonté d’y faire entrer le grand public.
L’idée était de le financer avec des
entrées payantes et la location d’espace
aux partenaires. Le pari était très
ambitieux.»
Du point de vue de l’image, la réussite
est incontestable : le club France de
Londres a été une sorte d’ambassade
incontournable du sport français, le
président de la République, François
Hollande, lui a même fait l’honneur
d’une visite. Du côté des finances, le bilan est
plus douteux. Si Denis Masseglia,
le président du CNOSF, affirme
que l’expérience a fait perdre
500.000 euros à son organisation, un rapport établi en
mai 2013 par l’Inspection générale de la
jeunesse et des sports dévoile que la
différence entre les recettes et les dépenses
générées par le projet aboutit à
un déficit de 3,2 millions d’euros. Un résultat
qui pourrait expliquer le budget
assez faible du club France de Sotchi
(300.000 euros).
La réduction de voilure
ne remet néanmoins pas en cause
la politique de la main tendue vers les
partenaires, comme l’illustre ce témoignage
de Thierry Martinez, directeur
de la communication de la Caisse
d'épargne : «À Sotchi, nous avons une
cinquantaine d’invités : des collaborateurs,
des clients, des leaders d’opinion….
Et le club France leur a permis
de vivre des moments d’exception : ils
ont pu par exemple rencontrer des anciennes
championnes, comme Florence Masnada,
et célébrer la médaille
de Coline Mattel. En sortant, certains
m’ont dit : “On a vécu des moments
qu’on n’imaginait pas.” »
Reste une
question : l’évolution «marketisante»
du club France ne se fait-elle pas aux
dépens de son objectif initial, celui de la
convivialité ? « Non, parce que son
fonctionnement est plus pro désormais,
affirme Sandra Laoura, ancienne
skieuse de freestyle, qui s’occupe désormais
de l’accueil des athlètes au
club France. Par exemple, quand j’ai eu
ma médaille de bronze (bosses), à Turin,
en 2006, rien n’avait été prévu pour
ma famille, repartie le soir même. À
Londres, on avait tout organisé à
l’avance pour que les médaillés puissent
fêter ça avec leurs proches au club
France au premier étage, qui leur était
réservé…» Juste au-dessus des stands
des partenaires du CNOSF.
(L'Equipe)
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