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lundi 30 mars 2015

Cyclisme : pourquoi les organisateurs de course ont le blues

Le calendrier cycliste n’est pas seulement composé des grandes classiques, du Tour de France ou de Paris-Nice. Dans l’Hexagone, la plupart des courses sont organisées par des associations et leurs bénévoles. Mais les difficultés se multiplient... Les organisateurs de courses cyclistes en France ont appris, via un arrêté en date du 24 décembre dernier, l’augmentation des frais de gendarmerie. Une galère de plus dans la gestion de leurs budgets. Quelques jours plus tard, la Fédération française de cyclisme et la Ligue nationale (LNC) décidaient d’annuler l’édition 2015 du Tour Méditerranéen en raison d’une dette de 150 000 euros. De quoi rappeler à ceux qui n’en avaient pas encore conscience la fragilité de l’organisation des courses. Même si nombre d’entre elles font partie du patrimoine national, tel que le traditionnel Grand Prix d’ouverture La Marseillaise, première manche de la Coupe de France (seize épreuves par an) qui a ouvert la saison le 1er février, ou encore Paris-Camembert, créé en 1934... « Avec quarante et une épreuves ouvertes aux professionnels, la France dispose du plus gros calendrier au niveau mondial », rappelle le directeur de la LNC, Arnaud Platel. Mais exception faite des grandes courses (Tour de France, Paris-Nice, le Dauphiné, Paris-Tours…) appartenant à ASO (propriété comme L’ Équipe du groupe Amaury), la majorité d’entre elles sont gérées par des bénévoles – dans le cadre d’associations loi 1901 – qui tentent de maintenir leurs épreuves à flot.

La mondialisation du cyclisme a forcément eu un impact sur leurs plateaux. Il leur est désormais difficile d’attirer les grosses écuries étrangères et de récents vainqueurs du Tour (Christopher Froome, Vincenzo Nibali, Alberto Contador par exemple), rendant donc leurs épreuves moins attractives pour d’éventuels sponsors. Par ailleurs, les organisateurs sont aussi et surtout confrontés à des charges de plus en plus lourdes (hausse des prestataires notamment). Pour maintenir l’équilibre budgétaire, certains ont dû réduire la part dévolue à la publicité et le nombre d’invités, d’autres cherchent à limiter les transferts entre les étapes. Depuis quelques années, l’Étoile de Bessèges se court ainsi exclusivement dans le département du Gard. « Comme les coureurs sont logés au même endroit toute la semaine, on peut négocier les tarifs et les bénévoles dorment chez eux », explique l’un des responsables, Patrick Herse. « On joue sur un fil : un faux pas et on plonge », résume Bernard Martel, le président du comité d’organisation des Quatre Jours de Dunkerque, qui dispose pourtant d’un budget de 1 million d’euros hors taxes pour son épreuve classée hors catégorie.

Pour mettre sur pied des courses, les organisateurs font appel en moyenne à plus d’une centaine de sponsors. Et à l’image de la charcuterie Cosme qui parraine le maillot de leader du Circuit de la Sarthe depuis dix ans, nombre d’entre eux agissent simplement par ­fidélité. « Ils investissent aussi parce qu’un lien d’amitié s’est noué », précise Gérald Feuvrier, à la tête de l’épreuve depuis trente-trois ans. En Bretagne, le Tro Bro Leon retrouve ainsi 90 % de ses sponsors (150 qui versent entre 100 et 25 000 euros) d’une année à l’autre. Mais rares sont ceux qui s’engagent pour plus d’un an. « Entre la préparation des dossiers, les rendez-vous et les relances, c’est un travail au quotidien », explique Dominique Serrano, le président du GP de Denain qui a négocié deux ans avec l’agglomération de Valenciennes avant d’aboutir. LA RÉFORME de L’UCI, LE COUP DE GRÂCE ?

Dans ce contexte fragile, les organisateurs se creusent donc la tête pour économiser le moindre sou. « On fait plus de choses par nous-mêmes, raconte Jean-Marie Bonnet, le secrétaire général du Tour du Limousin. Sur la partie restauration, par exemple, on sous-traite moins, des bénévoles se chargent des grillades. » Le Limousin a aussi choisi d’investir pour économiser. « La location d’une quarantaine de tentes pour constituer les villages départ et arrivée nous coûtait trente mille euros chaque année. On a acheté le matériel pour l’amortir sur cinq ans. »

Face aux difficultés et parfois à un certain manque de reconnaissance, quelques-uns se lassent. Après l’édition 2014 de la Châteauroux Classic de l’Indre (39 dossiers administratifs fournis aux différentes autorités, l’équivalent de 8,5 kilos de papiers), Jean-Luc Pernet a rendu son tablier. « Même si les finances devenaient de plus en plus compliquées à boucler, je n’ai pas arrêté pour des raisons budgétaires mais par lassitude, confie-t-il. Le cyclisme n’a pas beaucoup de considération pour les ­organisateurs bénévoles. » François Faglain, le patron de Cholet-Pays-de-Loire qui s’est couru dimanche dernier, raconte avoir « envoyé un mail aux directeurs sportifs de huit Pro Team étrangères pour les inviter. Je n’ai même pas eu de réponse ». Alain Clouet, du Tour international Poitou-Charentes, reconnaît néanmoins que « les bons résultats actuels des coureurs français sauvent nos courses. Un beau plateau, ça attire le public et c’est plus facile de discuter avec un sponsor ». La retransmission télévisuelle peut aussi être un plus. C’est un poste budgétaire onéreux mais aussi une aide pour décrocher des subventions. « Si on n’avait pas eu la télé l’année dernière (pour 200 000 euros), certaines villes ne validaient pas leur engagement, explique le Dunkerquois Bernard Martel. Elles apprécient qu’on montre leur patrimoine culturel ou historique. »

Mais il en faudrait davantage pour que les organisateurs voient l’avenir en rose. Si l’augmentation des frais de sécurité a été limitée à 30 % maximum cette saison, qu’en sera-t-il l’année prochaine ? Le regroupement des régions décidé par le gouvernement et son impact sur les prochains budgets inquiètent aussi. « Les collectivités nous aident parce qu’on sert à créer du lien social, à faire la promotion des territoires et à les animer », explique Alain Clouet. Mais pourront-elles continuer ? Castres, par exemple, où la Route du Sud a fait étape à trente-deux reprises, n’est pas candidate cette année. Et quelles seront les conséquences de la réforme envisagée par l’Union cycliste internationale (UCI) en 2017 (grosso modo, elles envoient les plus grandes équipes dans les plus grandes courses). « Il est fort possible que des courses s’arrêtent, estime Jean-Paul Mellouet, le dirigeant du Tro Bro Leon. Pour des raisons de budget et d’âge. Je cherche un remplaçant. Mais quand je dis tout ce qu’il y a à faire, on me traite de taré... »

(L'Equipe)

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