Je contemple Courchevel, de l’autre côté de la vallée que j’habite.
La station fait cracher des dizaines de canons à neige… Je sais : selon
le vocabulaire officiel, on ne dit pas "canon à neige", mais
"enneigeur". On ne parle pas de "neige artificielle", mais de "neige de
culture". La litote ou la novlangue n’ont pas fini de nous reformater
les neurones.
Au XXIe siècle, le principal problème des stations d’hiver est
évidemment climatique. Voici des années que je le répète, que je le
serine, que je le martèle aux responsables locaux, régionaux ou
nationaux : dans nos montagnes, nous perdons, en tendance, chaque année
un jour d’enneigement et un centimètre d’épaisseur de neige cumulée.
Cela semble minime à ceux qui ne voient que le bout de leur nez. Mais un
jour par an, au bout de 30 ans, cela fait un mois complet, soit le
quart de la saison d’hiver actuelle ! Un manque à gagner inquiétant…
Les canons à neige, "la" solution pour les naïfs
Les canons à neige paraissent être "la" solution. Mais seulement aux
yeux des naïfs ou des bétonneurs… Ils exigent d’énormes réserves d’eau
en altitude, donc des barrages (des "retenues collinaires", dit la
novlangue). Ils consomment de grandes quantités d’énergie
(d’électricité) : seules les plus riches stations peuvent se les payer.
De toute façon, pour fonctionner, ils ont besoin qu’il fasse froid (si
possible, moins de 0 degré Celsius) et que l’atmosphère soit bien sèche
(l’idéal : un taux d’hygrométrie de 20%).
Or, le réchauffement climatique sévit en altitude deux fois plus
intensément qu’en plaine. Cela signifie moins d’eau qui tombe du ciel,
ou de l’eau qui arrive sous forme de pluie au lieu de neige, et qui
dévale trop vite la pente. Cela veut dire aussi un excès de chaleur qui
s’oppose à toute tentative de fabriquer encore et toujours la fameuse
neige "de culture"…
L'artifice l'emportera sur le respect de la vie sauvage
Les stations françaises aujourd’hui en activité fonctionneront-elles encore dans 30 ans ?
J’en doute pour celles qui sont édifiées à basse altitude – autour de
1.000 mètres, soit la quasi-totalité de celles du Massif central, du
Jura et des Vosges, mais aussi des Préalpes (Vercors, Chartreuse,
Bauges, Aravis…). Dans les Alpes et les Pyrénées, les plus hautes et les
plus rupines (Morzine, Avoriaz, Courchevel, Val d’Isère, Val-Thorens,
L’Alpe d’Huez, Les Deux-Alpes, Isola 2000, La Mongie, etc.) survivront
un peu plus longtemps, mais au prix d’investissements aussi affolants
qu’incertains.
Si la montagne désire vivre demain du tourisme, elle n’a d’autre
issue que de compter sur les quatre saisons et la belle nature. Je veux
dire : au moins autant sur les parcs nationaux et les balades, que sur
le ski et les activités connexes. Sur les ours, les loups et les
chamois, autant que sur les kilomètres et les kilomètres obsessionnels
de pistes bleues, rouges ou noires…
Mais les chamois et les loups dégagent de maigres profits, comparés
aux gains mirifiques de la spéculation immobilière. Le pognon, je le
crains, aura raison de la splendeur altière des cimes. L’artifice
l’emportera probablement sur le bonheur des sites encore vierges et le
respect de la vie sauvage.
Tignes bat des records en matière d’absurdité saccageuse
Voici quelques jours (le vendredi 25 novembre, en commission réunie à
Chambéry), une unité touristique nouvelle (UTN) a obtenu un avis
favorable.
Celui-ci rend possible la construction, à Tignes, d’un nouveau village du Club Méditerranée
(1.050 lits), et d’une piste de ski de plus de 200 mètres de longueur,
entièrement couverte et éclairée jour et nuit, enneigée à l’année par
des canons ad hoc, et couplée avec un centre aqualudique. Piscine à vagues et ski d’été sur béton… Artifice à tous les étages…
On enrage à cette perspective. Le ski d’été devient, certes, de moins
en moins praticable en pleine nature, sur le glacier voisin de la
Grande Motte que le réchauffement climatique fait fondre à toute vitesse
et où béent les crevasses… Mais de là à transformer la montagne en
triste parc d’attractions !
À 2.100 mètres d’altitude, en Tarentaise, avec une partie de son
territoire au cœur du parc national de la Vanoise (ce symbole de la
biodiversité libre et sauvage), la commune-station de Tignes bat tous
les records en matière d’absurdité saccageuse. Elle a décidé de singer
le "dôme alpin" artificiel et artificiellement enneigé que les
pétrodollars du Golfe ont permis d’édifier dans le désert de Dubaï ! On
veut croire que telle ne sera pas l’image ordinaire de nos montagnes
dans les prochaines décennies. On craint les flocons de la désillusion…
(Source)
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