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lundi 23 janvier 2017

NBA, les secrets de l'hypercroissance

Comme souvent sur les parquets de la prestigieuse ligue professionnelle de basket américaine (NBA), il s'en est fallu d'un rien pour faire basculer la décision. Mais cette fois, c'est en coulisses que s'est jouée l'une des plus âpres batailles du sport business.
Après d'intenses tractations et au moment de la « deadline » du 15 décembre 2016, imposée par le dernier « collective bargaining agreement » (CBA), joueurs et propriétaires des 30 équipes se sont mis d'accord sur le principe d'une répartition 50-50 des revenus exponentiels générés par leur activité, évitant ainsi une nouvelle grève, ce qui ne fut pas le cas en 2011 et en 1999.
C'est que le gâteau est titanesque ! En trente ans, la NBA est passée d'un montant total de revenus annuels de 165 millions de dollars à 5,5 milliards en 2014. Avec un nouveau contrat de 24 milliards de dollars sur neuf ans, passé avec les chaînes ESPN, ABC et TNT pour les droits de retransmettre les matchs, ils devraient encore s'envoler dans les prochaines années, et peut-être rejoindre ceux de la première ligue de sport professionnelle en termes de revenus, la ligue de football américain (NFL) et ses 10 milliards de dollars.
Aux yeux du grand public, cette hyper-croissance devient visible au virage des années 1990. Alors que la première guerre du Golfe éclate, un joueur émerge à l'échelle planétaire : Michael Jordan, et avec lui, Nike et son implacable machine marketing. Mais la scène de la NBA est encore trop peu diffusée à travers le monde. C'est aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, et avec la création de la « Dream Team », qu'explose enfin la popularité de ces athlètes. Jordan, mais aussi Magic Johnson, Larry Bird, Patrick Ewing et consorts débarquent en rock stars en Espagne cet été-là. Aucune autre équipe, quelle que soit sa discipline, n'a généré autant d'engouement ni avant ni après. Le parcours de l'aéroport à leur hôtel se fait dans un cortège de sirènes et d'hélicoptères. Les badauds, agglutinés par milliers le long du parcours, font alors prendre conscience au monde entier de ce nouveau star-système.

David Stern, le visionnaire

Jusque-là, les pros évoluant en NBA étaient interdits de participation aux Jeux Olympiques. Si l'on accorde à David Stern, grand patron de la ligue depuis 1984 jusqu'en 2014, la paternité de cette idée, c'est en fait un ancien inspecteur des viandes bulgare, Boris Stankovic, qui a formulé le premier cette hypothèse dès 1974. Durant trois semaines, les représentants des Etats-Unis balaient leurs adversaires avec une facilité et un panache inimaginables. Le basket-ball devient un sport planétaire, au même titre que le football, et attire en masse les sponsors mondiaux. Les salaires des joueurs explosent, portés par les droits télé, mais aussi le merchandising. Aujourd'hui, les matchs de la NBA sont retransmis dans 215 pays et en 47 langues différentes, et le rêve formulé par David Stern de déloger le football comme premier sport mondial n'apparaît plus aussi fou que cela.
Ancien avocat, Stern est le visionnaire et l'architecte de cette expansion. Le patron (« commissioner » en anglais) de la NBA découvre une ligue souffrante lorsqu'il la rejoint, dans les années 1980. Les joueurs sont assimilés à une bande de junkies, plus accros à la cocaïne qu'à l'effort. Les propriétaires perdent, pour la plupart, de l'argent en pagaille. Les finales ne sont même pas retransmises en direct...
Au cours de ses trois décennies de règne sans partage, Stern aura révolutionné l'organisation et le financement de ce sport. Avec l'accord des propriétaires qui l'ont élu, il crée quatre nouvelles équipes en 1988 et 1989, puis deux équipes basées au Canada en 1995, premier signe tangible de sa volonté d'internationaliser son sport. Durant cette période, plus de 150 matchs sont joués à l'étranger, offrant une plateforme mondiale aux basketteurs, mais aussi aux sponsors. Sans Michael Jordan et la NBA, Nike n'aurait d'ailleurs très probablement pas connu un tel essor...
Au-delà du business, Stern impose un style et une rigueur qui permettent au spectacle de paraître plus soigné. Un code vestimentaire est prescrit aux joueurs. Puis un code de conduite, à la suite d'une bagarre légendaire entre joueurs et spectateurs en 2004 dans les gradins. Pour l'exemple, quelques joueurs contrôlés positifs à la cocaïne sont également bannis à vie de la ligue. L'homme sait aussi faire entendre ses convictions. Comme en 1991, lorsqu'il s'assied au côté de Magic Johnson quand ce dernier annonce sa séropositivité. Il le soutiendra encore quatre ans plus tard, lorsque le joueur décide de revenir et que les conditions de transmission du virus sont mieux connues. En 2010, l'équipe de La Nouvelle- Orléans, encore dévastée par l'ouragan Katrina, est au bord de la faillite. Mais il refuse qu'elle soit vendue et délocalisée. Il propose alors aux 29 autres propriétaires de l'acheter collectivement, au nom de la NBA, le temps de trouver un acquéreur.
Ces prises de position, uniques dans l'histoire des sports professionnels américains, n'empêchent pourtant pas le basket de devenir l'un des nouveaux terrains de chasse privilégiés par les investisseurs. Ce n'est donc pas un hasard si l'on voit débouler, depuis quelques années, une nouvelle génération d'entrepreneurs milliardaires, notamment issus de la tech, pour racheter les équipes à prix d'or et y investir massivement. Joe Lacob, à la tête du groupe d'investisseurs qui a racheté les Warriors de Golden State, en est l'exemple le plus illustre. Il est devenu le premier capital-risqueur à appliquer les méthodes rigoureuses de la Silicon Valley pour transformer une équipe NBA mal cotée en machine à cash. En à peine six ans, il a réussi à offrir le premier titre depuis 1975 à l'équipe basée à Oakland, près de San Francisco, en lui appliquant les principes des start-up : souplesse dans le management, communication ouverte et surtout évaluation permanente de ce qui est fait et doit être corrigé. Propriétaire d'une franchise payée 450 millions de dollars, Lacob voit encore plus loin. Son équipe va emménager dans un nouveau stade, dont le coût avoisine le milliard de dollars et qui devrait lui permettre de porter sa valeur à 3 milliards en 2019, selon « Forbes ». Gib Arnold, ex-coach universitaire, décrit cette équipe comme « le Google de la NBA ».
Désormais, un quart des équipes sont détenues par les fortunes de la tech. Une vague amorcée en 2002 lorsque le fonds Highland Capital Partners rachetait l'équipe légendaire des Celtics de Boston, déjà avec Joe Lacob à son bord. Elle se poursuit avec notamment Marc Lasry, milliardaire né au Maroc et investisseur dans Avenue Capital, qui a racheté les Bucks de Milwaukee avec Wesley Edens en 2014.
Les financiers vont continuer de se battre pour faire partie de ce cercle privilégié et très restreint des propriétaires de franchise NBA. Tous les signaux sont au vert pour de nouveaux développements des affaires. La ligue compte la plus grosse part de jeunes téléspectateurs parmi les quatre sports majeurs américains. Les audiences sont à la hausse avec, l'an passé, sept matchs pour départager les Warriors des Cavaliers, devant une moyenne de 20,2 millions de téléspectateurs, soit le record depuis les dernières finales disputées par Michael Jordan en 1998. Le spectre de la grève s'éloignant définitivement, le business NBA apparaît comme l'un des plus rentables et sécurisés pour l'avenir. Les joueurs ne vont pas s'en plaindre : le nouvel accord, qui doit être signé le 13 janvier, va permettre d'augmenter leurs émoluments de 45 % et porter le salaire moyen à 8,5 millions de dollars par an. Avec la promesse, immuable, que le spectacle offert par les dix acteurs sur le parquet se dénoue toujours au bout du suspense. Dans un mouchoir de poche. 

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