Comme souvent sur les parquets de la
prestigieuse ligue professionnelle de basket américaine (NBA), il s'en
est fallu d'un rien pour faire basculer la décision. Mais cette fois,
c'est en coulisses que s'est jouée l'une des plus âpres batailles du
sport business.
Après d'intenses tractations et au moment de la
« deadline » du 15 décembre 2016, imposée par le dernier « collective
bargaining agreement » (CBA), joueurs et propriétaires des 30 équipes se
sont mis d'accord sur le principe d'une répartition 50-50 des revenus
exponentiels générés par leur activité, évitant ainsi une nouvelle
grève, ce qui ne fut pas le cas en 2011 et en 1999.
C'est
que le gâteau est titanesque ! En trente ans, la NBA est passée d'un
montant total de revenus annuels de 165 millions de dollars à
5,5 milliards en 2014. Avec un nouveau contrat de 24 milliards de
dollars sur neuf ans, passé avec les chaînes ESPN, ABC et TNT pour les
droits de retransmettre les matchs, ils devraient encore s'envoler dans
les prochaines années, et peut-être rejoindre ceux de la première ligue
de sport professionnelle en termes de revenus, la ligue de football
américain (NFL) et ses 10 milliards de dollars.
Aux
yeux du grand public, cette hyper-croissance devient visible au virage
des années 1990. Alors que la première guerre du Golfe éclate, un joueur
émerge à l'échelle planétaire : Michael Jordan, et avec lui, Nike et
son implacable machine marketing. Mais la scène de la NBA est encore
trop peu diffusée à travers le monde. C'est aux Jeux Olympiques de
Barcelone en 1992, et avec la création de la « Dream Team », qu'explose
enfin la popularité de ces athlètes. Jordan, mais aussi Magic Johnson,
Larry Bird, Patrick Ewing et consorts débarquent en rock stars en
Espagne cet été-là. Aucune autre équipe, quelle que soit sa discipline,
n'a généré autant d'engouement ni avant ni après. Le parcours de
l'aéroport à leur hôtel se fait dans un cortège de sirènes et
d'hélicoptères. Les badauds, agglutinés par milliers le long du
parcours, font alors prendre conscience au monde entier de ce nouveau
star-système.
David Stern, le visionnaire
Jusque-là,
les pros évoluant en NBA étaient interdits de participation aux Jeux
Olympiques. Si l'on accorde à David Stern, grand patron de la ligue
depuis 1984 jusqu'en 2014, la paternité de cette idée, c'est en fait un
ancien inspecteur des viandes bulgare, Boris Stankovic, qui a formulé le
premier cette hypothèse dès 1974. Durant trois semaines, les
représentants des Etats-Unis balaient leurs adversaires avec une
facilité et un panache inimaginables. Le basket-ball devient un sport
planétaire, au même titre que le football, et attire en masse les
sponsors mondiaux. Les salaires des joueurs explosent, portés par les
droits télé, mais aussi le merchandising. Aujourd'hui, les matchs de la
NBA sont retransmis dans 215 pays et en 47 langues différentes, et le
rêve formulé par David Stern de déloger le football comme premier sport
mondial n'apparaît plus aussi fou que cela.
Ancien
avocat, Stern est le visionnaire et l'architecte de cette expansion. Le
patron (« commissioner » en anglais) de la NBA découvre une ligue
souffrante lorsqu'il la rejoint, dans les années 1980. Les joueurs sont
assimilés à une bande de junkies, plus accros à la cocaïne qu'à
l'effort. Les propriétaires perdent, pour la plupart, de l'argent en
pagaille. Les finales ne sont même pas retransmises en direct...
Au
cours de ses trois décennies de règne sans partage, Stern aura
révolutionné l'organisation et le financement de ce sport. Avec l'accord
des propriétaires qui l'ont élu, il crée quatre nouvelles équipes
en 1988 et 1989, puis deux équipes basées au Canada en 1995, premier
signe tangible de sa volonté d'internationaliser son sport. Durant cette
période, plus de 150 matchs sont joués à l'étranger, offrant une
plateforme mondiale aux basketteurs, mais aussi aux sponsors. Sans
Michael Jordan et la NBA, Nike n'aurait d'ailleurs très probablement pas
connu un tel essor...
Au-delà du
business, Stern impose un style et une rigueur qui permettent au
spectacle de paraître plus soigné. Un code vestimentaire est prescrit
aux joueurs. Puis un code de conduite, à la suite d'une bagarre
légendaire entre joueurs et spectateurs en 2004 dans les gradins. Pour
l'exemple, quelques joueurs contrôlés positifs à la cocaïne sont
également bannis à vie de la ligue. L'homme sait aussi faire entendre
ses convictions. Comme en 1991, lorsqu'il s'assied au côté de Magic
Johnson quand ce dernier annonce sa séropositivité. Il le soutiendra
encore quatre ans plus tard, lorsque le joueur décide de revenir et que
les conditions de transmission du virus sont mieux connues. En 2010,
l'équipe de La Nouvelle- Orléans, encore dévastée par l'ouragan Katrina,
est au bord de la faillite. Mais il refuse qu'elle soit vendue et
délocalisée. Il propose alors aux 29 autres propriétaires de l'acheter
collectivement, au nom de la NBA, le temps de trouver un acquéreur.
Ces
prises de position, uniques dans l'histoire des sports professionnels
américains, n'empêchent pourtant pas le basket de devenir l'un des
nouveaux terrains de chasse privilégiés par les investisseurs. Ce n'est
donc pas un hasard si l'on voit débouler, depuis quelques années, une
nouvelle génération d'entrepreneurs milliardaires, notamment issus de la
tech, pour racheter les équipes à prix d'or et y investir massivement.
Joe Lacob, à la tête du groupe d'investisseurs qui a racheté les
Warriors de Golden State, en est l'exemple le plus illustre. Il est
devenu le premier capital-risqueur à appliquer les méthodes rigoureuses
de la Silicon Valley pour transformer une équipe NBA mal cotée en
machine à cash. En à peine six ans, il a réussi à offrir le premier
titre depuis 1975 à l'équipe basée à Oakland, près de San Francisco, en
lui appliquant les principes des start-up : souplesse dans le
management, communication ouverte et surtout évaluation permanente de ce
qui est fait et doit être corrigé. Propriétaire d'une franchise payée
450 millions de dollars, Lacob voit encore plus loin. Son équipe va
emménager dans un nouveau stade, dont le coût avoisine le milliard de
dollars et qui devrait lui permettre de porter sa valeur à 3 milliards
en 2019, selon « Forbes ». Gib Arnold, ex-coach universitaire, décrit
cette équipe comme « le Google de la NBA ».
Désormais, un quart des équipes sont
détenues par les fortunes de la tech. Une vague amorcée en 2002 lorsque
le fonds Highland Capital Partners rachetait l'équipe légendaire des
Celtics de Boston, déjà avec Joe Lacob à son bord. Elle se poursuit avec
notamment Marc Lasry, milliardaire né au Maroc et investisseur dans
Avenue Capital, qui a racheté les Bucks de Milwaukee avec Wesley Edens
en 2014.
Les financiers vont continuer de se battre pour faire partie de ce cercle privilégié et très restreint des propriétaires de franchise
NBA. Tous les signaux sont au vert pour de nouveaux développements des
affaires. La ligue compte la plus grosse part de jeunes téléspectateurs
parmi les quatre sports majeurs américains. Les audiences sont à la
hausse avec, l'an passé, sept matchs pour départager les Warriors des
Cavaliers, devant une moyenne de 20,2 millions de téléspectateurs, soit
le record depuis les dernières finales disputées par Michael Jordan en
1998. Le spectre de la grève s'éloignant définitivement, le business NBA
apparaît comme l'un des plus rentables et sécurisés pour l'avenir. Les
joueurs ne vont pas s'en plaindre : le nouvel accord, qui doit être
signé le 13 janvier, va permettre d'augmenter leurs émoluments de 45 %
et porter le salaire moyen à 8,5 millions de dollars par an. Avec la
promesse, immuable, que le spectacle offert par les dix acteurs sur le
parquet se dénoue toujours au bout du suspense. Dans un mouchoir de
poche.
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