vendredi 25 octobre 2013

Nouveaux stades en France : le risque de construire des éléphants blancs

La vie est-elle plus belle pour les clubs de foot quand ils disposent d’un nouvel écrin ? L'Equipe a soumis les cinq derniers stades sortis de terre en France depuis 2009 à une radioscopie...
LA MISE EN LIQUIDATION judiciaire du Mans, la semaine dernière, a ravivé ce doute lancinant : y a-t-il une malédiction des stades en France ? Comme si, depuis l’inauguration du stade des Alpes en février 2008, qui n’a pas empêché le déclin sportif deson équipe résidente (le GrenobleFoot 38, aujourd’hui en CFA), l’arrivée dans un bel et cher écrin devait forcément virer au cauchemar pour les clubs de foot.
[...] La radiographiedes cinq dernières enceintes construites pour le ballon  rond, mais aussi destinées à accueillir d’autres sports et des spectacles, propose une réalité contrastée, notamment en ce qui concerne leur fréquentation.
Tandis que Nice reste invaincu dans son Allianz Riviera et affiche un taux de remplissage de 81,7%, Lille s’en sort plutôt bien avec 69% depuis la reprise du Championnat et 81,5% la saison dernière. Pas de quoi s’emballer, met en garde Jean-Raymond Legrand, président de Valenciennes, dont le stade du Hainaut affichait un taux de 61,4% en 2012-2013 contre 67% depuis le début de la saison. « [...] il y a eu un effet de curiosité la première année avec une moyenne de 18.500 spectateurs mais ensuite le public est versatile et depuis on en a perdu 2.000 ».
Au stade Océane du Havre, les chiffres n’ont jamais décollé puisque le tauxde remplissage affichait 33,7% la saison précédente et 30,1% depuis la reprise. [...] Alain Caldarella, directeur du stade Océane : "Notre objectifest de dépasser les 10.000 spectateurs en moyenne (8.000 aujourd’hui).» Pour ce faire, le club organise [...] des matches de rugby, des concerts,des salons et autres séminaires [...]. La saison dernière, vingt-sept événements s’y sont tenus, dont les dix-neuf rencontres de L2. « L’objectif est de proposer un maximum d’événements dans un stade pour tous et de générer de nouvelles recettes », poursuit Alain Caldarella. Ce qui est loin d’être le cas puisque les comptes du stade ne sont pas encore à l’équilibre. Pour y parvenir, il mise aussi sur le naming qui n’a pas été intégré dans le business modèle initial du stade.
Le LOSC, lui, espérait recevoir entre 3,5 M€ et 3,8 M€ grâce au naming mais n’en a obtenu finalement que 2M€ avec trois partenaires (Crédit Mutuel Nord Europe, Carrefour, Nacarat). Et aucun n’a proposé assez d’argent pour donner son nom à l’enceinte. Le stade Pierre-Mauroy ne génère pas non plus les recettes espérées de 10 M€ annuels. C’est l’un des principaux points noirs de la vie des clubs dans leur écrin ultramoderne : en raison du loyer et des charges (accueil, sécurité...), ces enceintes leur coûtent aussi cher, voire plus, que ce qu’elles leur rapportent. «Le précédent stade me coûtait 300.000 € à l’année ; là, c’est 1,7 M€. Et on pensait rattraper le manque à gagner avec la billetterie », confirme Jean-Raymond Legrand, président de Valenciennes. Même constat pour Julien Fournier, directeur général de l’OGC Nice, qui parle des 5M€ de recettes supplémentaires espérées avant de tempérer : «Mais nous tablons sur une augmentation des charges du même niveau. »
L’autre écueil auquel doit faire face la direction du club niçois est la cohabitation difficile avec l’exploitant du stade Nice Eco Stadium (NES, filiale du constructeur Vinci). L’OGC Nice ne se sent pas vraiment chez lui puisque l’exploitation de l’Allianz Riviera lui échappe. En cas de descente du club en Ligue 2, c’est la mairie de Nice qui paiera le manque à gagner. Pas question pour l’exploitant de rejouer le scénario du Mans avec un club exsangue qui ne peut plus payer la facture.
«Il faut que lemodèle de gestion à la française se mette en place, plaide Alain Belsoeur. Le stade est construit sur des fonds publics mais le club doit être présent dans sa gestion. Car qui mieux que le club peut gérer son stade? Il n’est pas trop tard à Nice, poursuit-il d’un clin d’oeil. Dans le modèle allemand, qui nous sert d’exemple, le problème est traité en amont avec des réunions de toutes les parties prenantes.»
Parce qu’il n’y a plus de temps à perdre, le comité stratégique« stades de la LFP »vient de lancer deux grandes études pour aider les clubs. La première, confiée à l’agence Repucom, offrira à chacun d’entre eux une description de ses publics ; la seconde, demandée à l’institut Ipsos, permettra de mieux connaître les spectateurs qui pourraient venir mais ne franchissent pas les portillons. Le rendu des copies est prévu fin janvier.
«Il faut que le public français ne dise plus je vais au match mais je vais au stade », explique Alain Belsoeur. Ce qui implique pour le club d’offrir plus que quatre-vingt-dix minutes de jeu. « On nepeut pas gagner tous les matches mais on peut s’assurer que la bière (sans alcool) est fraîche et que les hot dogs sont chauds», sourit l’artisan du stade Océane. Car il en est persuadé : « Notre modèle économique est trop fondé sur le sportif. Il faut sortir de cette spirale. » Oui mais comment ? La formule magique n’existe pas mais des recettes peuvent être trouvées pour faire vivre les enceintes ultramodernes avant et après les rencontres et les jours sans match. «C’est une question de vie ou de mort pour les stades, qui pourraient devenir des éléphants blancs ; mais aussi pour notre football professionnel », conclut Alain Belsoeur.

(L'Equipe)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.