Entre des clubs professionnels dont le poids économique ne cesse de
grandir et des fédérations soucieuses de faire respecter leurs
prérogatives, le rugby européen cherche sa voie avec un dénominateur
commun: poursuivre son développement et trouver de nouvelles ressources.
L'épisode
a été symptomatique: après deux ans de conflits entre fédérations et
clubs, un compromis a été trouvé en avril sur la réforme des
compétitions européennes. Un feuilleton qui a révélé les ambitions
divergentes sur le continent.
D'un côté, encore minoritaire,
flotte l'idée d'un circuit fermé. Une tendance incarnée par quelques
présidents de clubs remuants et médiatiques comme l'Anglais Bruce Craig
(Bath) ou les Français Jacky Lorenzetti (Racing-Métro) et Mourad
Boudjellal (Toulon).
L'idée générale ? Promouvoir les clubs qui
ont déjà mis en place un modèle économique lucratif, savent attirer des
stars et génèrent un spectacle grassement rémunéré par les diffuseurs.
Pour eux, le Graal se nomme Coupe du monde des clubs, réunissant Europe
et nations du Sud dans un calendrier unifié.
"Il y a des matchs
que le public veut regarder", assure M. Craig, en mentionnant les
principales franchises néo-zélandaises: "Je suis sûr que le public comme
les télévisions aimeraient voir un Toulouse - Crusaders, un Chiefs -
Toulon, un Leinster - Highlanders. Ca fait rêver et ça peut générer
beaucoup d'argent."
La principale crainte: que
ces clubs-mastodontes écrasent tout sur leur passage, dévorent leurs
rivaux et empêchent toute nouvelle concurrence. Ce qui reviendrait à
créer une ligue privée, peut-être même à l'échelon européen.
Un
modèle inconcevable pour l'IRB (organe suprême du jeu), les fédérations,
qui gèrent aussi le sport amateur, mais aussi les instances devant
concilier les intérêts des "petits" et "gros" clubs.
"Très
nettement, je suis contre la consanguinité", affirme ainsi Paul Goze,
président de la Ligue nationale de rugby française (LNR): "Il n'y a pas
photo, l'avenir du rugby, c'est de continuer de développer un
championnat d'Europe avec le maximum de clubs au niveau pour y
participer".
"Une Europe est à construire. Un monde est à
construire, abonde le président de la Fédération française (FFR) Pierre
Camou. Ce n'est pas en faisant des clivages, en oubliant les
compétiteurs de demain qu'on construit".
"C'est une vision à très
courte portée: est-ce qu'on veut s'adresser à un marché de quelque 100
millions de personnes ou de 600 millions ?", résume le président de la
Fédération européenne (Fira-Aer), le Roumain Octavian Morariu.
Cependant,
l'écart de niveau entre les clubs roumains, espagnols, portugais ou
encore géorgiens et celui des nations historiques ne se comble guère.
L'intérêt financier immédiat des rencontres entre ces deux mondes ne
convainc pas.
Pire, un fossé se dessine aussi entre la France et l'Angleterre,
qui bénéficient d'un bassin économique à fort potentiel et de contrats
télévisuels confortables, et les nations celtes dont les faiblesses
deviennent patentes.
De quoi formuler un constat d'échec pour l'IRB et les fédérations qu'elle chapeaute ?
"C'est peut-être par le biais du sport professionnel que l'on peut faire décoller le rugby", remarque Paul Goze.
"Pour
l'instant, on laisse faire les fédérations, poursuit-il. Je pense qu'à
terme (...) il faudrait peut-être débloquer des budgets nous-mêmes pour
essayer de développer le rugby dans d'autres pays."
"Bien
évidemment, les moyens sont du côté du rugby professionnel. Mais vers
quoi veut-on aller ?", s'interroge en retour Octavian Morariu.
"Veut-on
créer une tranchée entre rugby professionnel et amateur alors qu'on
connaît la philosophie du rugby, qui a ses origines dans les villages de
France, du pays de Galles et d'Angleterre ? Et ce, au bénéfice de
quelques patrons de club", poursuit-il.
La balle est donc dans le
camp des fédérations: charge à elles de démontrer qu'elles peuvent faire
changer de dimension un sport pour l'instant confidentiel à l'échelle
mondiale. Sous peine de voir leur pouvoir de plus en plus contesté par
des clubs avides de grandir.
(AFP)
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