vendredi 21 juin 2013

Philippe Piat : "On va révolutionner l’économie du foot"

Philippe Piat a accordé un entretien à France football du 18 juin. Le patron de l’UNFP, le syndicat des joueurs français, et de la FIFPro Europe, le syndicat international, part en guerre contre les dérives, les illégalités et les sommes folles qui régissent les transferts. Un combat qui pourrait faire trembler la planète foot. Extraits.
"Si on ne réagit pas, c’est le système tout entier qui sera en péril ! Tout le monde, à commencer par les joueurs, va y perdre. C’est comme pour les agents. Nous, on dit que ce sont les joueurs qui doivent payer leur agent, alors que ce sont les clubs où ils arrivent qui le font actuellement. [...] Le problème n’est pas dans l’économie que les joueurs vont faire avec ce système de paiement des commissions par les clubs. Il est dans la défense de l’intérêt des joueurs. Quand un joueur a un agent qui est “maqué” avec un club ou son président, les dés sont pipés. Tout se fait dans le dos du joueur. L’agent fait avaler un salaire à son gars, moins élevé que celui qu’il pourrait avoir, parce que lui va toucher une plus grosse commission par le club. Moi, si je veux divorcer, ce n’est pas ma femme qui va payer mon avocat !
"Je prétends que si le joueur avait un agent qui n’est pas “maqué” avec le club – un avocat, un notaire ou même son voisin de palier –, il aurait plus. Il suffirait que le joueur ait 22.000 euros au lieu de 20.000 euros de salaire mensuel pour qu’il s’y retrouve et paye son conseil avec plus de transparence sur les conditions de son transfert.
"On veut que le système soit plus sain pour voir plus loin. On veut qu’il soit pérenne dans l’intérêt supérieur des joueurs, tous les joueurs. [...] Dans l’équilibre qui avait été trouvé avec la Commission européenne, en 2001, on avait échangé sur une période de stabilité de trois ans. Un joueur pouvait décider de partir après trois ans de présence dans un club, mais ne pouvait pas le faire, de son propre chef, en dessous de trois ans. C’était valable, sur cette période, pour les joueurs de moins de vingt-huit ans. Pour ceux plus âgés, la période protégée pour le club était de deux ans. La contrepartie de cet échange était que les joueurs pouvaient quitter leur club en payant les salaires restant dus, ce qu’on a appelé le “rest value”. C’était l’idée de base. Elle n’a quasiment jamais été appliquée.
"Pour ne pas jouer avec le feu avec cette période de stabilité, les clubs ont prolongé les joueurs en augmentant souvent les salaires. Un joueur comme Mexès, après sept ans à Auxerre, aurait pu démissionner à la fin de la saison, payer les salaires restant dus et dire : “Ciao, je m’en vais !” Ce cas aurait dû installer dans les faits ce règlement. D’autant que la Commission européenne voulait déjà que le montant des transferts baisse. Or, aujourd’hui, les transferts ont continué à exploser avec, en plus, des clauses de folie dans les contrats qui n’ont aucune validité. On m’a dit que, pour Varane, il y a une clause de 250 millions d'euros au Real Madrid. Mais où on va ? C’est du délire ! Ça suffit ! On a l’impression que tout le monde est complice dans le milieu pour préserver ce système et faire du business entre amis... Mais quand je parle de bulle, c’est aussi ce que je veux dire. Le foot est aujourd’hui dans un no man’s land juridique. Tout le monde se tient à ce niveau. Le TAS et la FIFA sont complices. La Commission européenne dit à la FIFA dans ses griefs de changer son règlement. La FIFA instaure une période protégée qui en fait n’est pas une loi, mais une sorte de gentleman’s agreement. Et quand le TAS vient gérer ce type de problème, il utilise le droit suisse pour sortir de l’impasse. C’est une histoire de fou ! Le foot utilise le droit suisse pour des dispositions qui ont été intégrées par le droit communautaire. On se fout de la gueule du monde ! Maintenant, il faut faire exploser tout ça une bonne fois pour toutes !

"Là, ça va être une bombe ! Ça va révolutionner l’économie du foot et le système de façon aussi radicale que Bosman. Tout va trembler ! Je suis sûr qu’on va gagner. La question essentielle est de savoir comment faire le chemin jusque-là pour ne pas être débouté sur le plan de la procédure. Mais quand elle sera bien engagée, on sera “inarrêtable”. C’est ce que j’explique à mes partenaires de la FIFPro. Quand on est allé avec Bosman, c’était le début du combat. Je vais vous faire une confidence : on n’avait pas beaucoup de billes ! Aujourd’hui, j’en ai plein, des billes ! Il faut que les clubs et les instances nous prennent très au sérieux. Au premier problème, on attaque !
"Aujourd’hui, il y a une disproportion au détriment des joueurs et en faveur des clubs, d’où ces indemnités énormes qui ne correspondent plus à rien. Ce ne sera pas, non plus, la fin du système des transferts. Mais les montants seront beaucoup plus bas. On veut réguler, devenir plus raisonnable, avec des règles à appliquer des deux côtés. Moi, je prétends même que le transfert est illégal. [...] Parce que, normalement, quand il y a un CDD entre un employeur et un employé, celui qui prend l’initiative de la rupture doit verser des dommages et intérêts. Sauf que, dans le football, il y a un tiers, le futur club, qui vient se mêler à l’affaire et règle l’indemnité de rupture de l’un des deux. Ça n’existe nulle part ailleurs, et surtout pas en droit ! On est dans l’illégalité totale ! Si un mec de chez Peugeot veut se barrer chez Renault, ce n’est pas Renault qui va payer un transfert. Le salarié casse son contrat et accepte les inconvénients de la rupture, les dommages et intérêts s’il y en a et le préjudice à payer éventuellement. Puis il refait sa vie professionnelle.
"Il faudrait que les contrats signés aillent à leur terme, que les ruptures soient l’exception et qu’elles soient réglées par le rest value, peut-être avec une sanction sportive si le joueur ou le club rompt la période de stabilité.
"J’avais rencontré Karl van Miert, l’ancien commissaire européen à la Concurrence, avant que Mario Monti ne le remplace. Van Miert voulait que les joueurs aient cette liberté ou, tout du moins, puissent casser leur contrat comme un salarié normal. Après, il était convenu qu’il fallait rester au moins une saison. Il est parti. L’UEFA et la FIFA ont alors réussi à démontrer à la Commission européenne que si l’on permettait aux joueurs de résilier tous les ans, les clubs allaient exploser. Monti a fait une lettre qui a débouché sur cette période de stabilité qu’on a acceptée. On a “échangé” cette stabilité contre la possibilité de liberté des joueurs, qui est, aujourd’hui, bafouée. Maintenant, on a durci le ton auprès de la FIFA. On ne veut plus du tout de cette période de stabilité. Nous, c’est au mieux une saison, et le droit de tous les salariés.  
"Je l’ai annoncé au conseil stratégique de l’UEFA. C’était même à l’ordre du jour de la dernière réunion avec l’accord de Michel Platini. Quand Umberto Gandini, le directeur général du Milan AC, a vu ça, il a pris la parole. Il a dit que les clubs européens ne voulaient rien changer. J’ai pris à mon tour le micro. J’ai dit que j’avais déjà envoyé une lettre à Blatter pour lui signifier qu’on allait engager une procédure contre le système des transferts. Putain, les têtes !"

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.