Dans dix ans, le Madison Square Garden risque de perdre son emplacement.
Pourtant il vient de dépenser près de un milliard de dollars pour sa rénovation.
QUAND ils ont découvert le score astronomique
de Bill De Blasio aux élections municipales
de New York, les
dirigeants de la Madison Square Garden
Company ont dû franchement
faire la grimace. L’adversaire malheureux
de De Blasio, Joe Lotha, étant un
ancien cadre dirigeant de leur société,
les promoteurs espéraient bien qu’il
leur tirerait une grosse épine du pied
en l’emportant. C’est raté.
En effet,
après avoir dépensé 968 millions de
dollars (717 millions d’euros) dans la
rénovation de la salle légendaire de
Pennsylvania Station, ils risquent de
ne pas toucher le fructueux retour sur
investissement qu’ils escomptaient.
Car la ville de New York, qui espère depuis
longtemps récupérer le site afin
de reconstruire la station de métro située
sous le Garden, a décidé de limiter
l’extension du bail du Madison
Square Garden à dix ans.
Comment
les propriétaires, qui l’ont proclamé
« salle la plus célèbre du monde »,
ont-ils pu dépenser près d’un milliard
de dollars avec une telle épée de Damoclès au-dessus de leur tête ?
Pour Frank Pons, professeur de
marketing à l’université de Laval, la
réponse est simple : «Ils n’avaient pas
le choix. Jusqu’à l’année dernière, le
Madison était l’enceinte qui rapportait
le plus sur le créneau de la musique.
Mais le Barclay Center est passé numéro
un sur les six derniers mois de
l’année, avec 35 millions d’euros de
billets vendus, contre 29 au Garden.»
Les dirigeants, qui avaient combattu
avec succès un projet de stade concurrent
en 2004 (le West Side Stadium),
se battent cette fois contre la nouvelle
salle des Brooklyn Nets (basket), qui a
aussi récemment séduit les New York
Islanders (hockey sur glace, à partir de
2015). «Le sport apporte une garantie,
mais les concerts, ce n’est pas le cas,
ajoute Frank Pons. Il y a une grosse
compétition.»
Malgré l’augmentation du prix des
billets (+49% sur le ticket de saison
pour voir les basketteurs des Knicks
de New York), les experts doutent
franchement que le Madison Square
Garden puisse rentabiliser un tel investissement
en seulement dix ans.«
Je ne connais pas leur business plan,
mais on sait qu’il faut au moins quinze
ou vingt ans pour amortir ce genre de
travaux », souligne Philippe Ventadour,
le directeur de Bercy, qui fera lui
un chèque de 110 millions d’euros
pour rénover la salle parisienne, l’année prochaine.
De façon étonnante, les dirigeants
du Garden n’ont pas cherché à polémiquer
sur la décision de la mairie de
New York. Ils auraient même déjà
commencé à prospecter, afin de trouver
un terrain de remplacement. La
rénovation de Penn Station, l’une des
gares les plus fréquentées des États-
Unis (500.000 passagers par jour), paraît
incontournable et, sans la crise
économique de 2008, un précédent
projet aurait déjà vu le jour. La campagne municipale a aussi
ramené sur le
devant de la scène une exemption fiscale
dont bénéficie le Garden depuis
1982 et qui a rapporté jusqu’ici environ
259 millions d’euros à la société, alors
qu’elle devait théoriquement s’arrêter
en 1992. Bref, le contexte ne se prêtait
pas forcément à une offensive de
communication en règle.
À y regarder de près, l’énorme investissement
de la Madison Square
Garden Company est surtout loin
d’être aussi dingue qu’il y paraît. Cotée
à la Bourse de New York, la société
propriétaire du Garden a réalisé 105
millions d’euros de bénéfices cette
année. Un résultat qui ne tient certes
pas compte des seules entrées du
Garden, mais qui suffit largement à
absorber 71 millions d’euros d’amortissement
sur les dix prochaines années.
Surtout, le timing du déménagement
n’est pas si mauvais pour le Garden.
«Dans les trente dernières années,
la durée de vie d’un stade a
diminué énormément, insiste Frank
Pons. D’une trentaine d’années dans
les années 90, on est descendus bien
en dessous, sans doute quinze à vingt
ans.»
Dans dix ans, le Barclay Center,
dont la construction a débuté en 2010,
devra donc, lui aussi, se poser la question d’une
rénovation, voire, d’un déménagement
prochain. «Ce que le
Garden espère, c’est être mieux placé
qu’eux s’ils doivent trouver un nouveau
site, explique-t-il. Ils auront un
pouvoir de négociation plus élevé,
parce qu’ils auront fait quelque chose
de bien pour la ville en investissant un
milliard dans leur salle et en laissant
faire la rénovation de Penn Station. »
Reste à savoir combien coûtera la prochaine
folie du Garden.
(L'Equipe)
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