C’EST UNE QUESTION à 52, 66 ou
120 millions d’euros, c’est selon. Que
vaut le Top 14 ? Depuis lundi soir, et
l’annonce faite par la Ligue nationale
de rugby (LNR) de sa décision de dénoncer
son contrat de diffusion avec
Canal, c’est surtout une question qui se
pose avec acuité dans les états-majors
des chaînes intéressées par le rugby,
notamment Canal+ et beIN Sport.
Avant lundi, la réponse était claire en
principe : le Top 14 valait 31,7 millions
d’euros, soit la somme versée chaque
année par les diffuseurs (Canal+ possède
l’exclusivité des matches à l’exception
de la finale, codiffusée par
France 2). Mais la naissance de beIN
Sport en juin 2012, un an après la signature
du contrat entre la LNR et la chaîne
cryptée, a complètement modifié le
marché et ouvert la voie à toutes les
suppositions.
Entre les fantasmes des
présidents de club (Alain Affelou a évoqué un Top
14 à 120 millions d’euros par
an) et les prix de réserve de l’appel d’offres
lancé mercredi (66 millions au minimum),
la marge est grande.
Pour évaluer la valeur du Top14, Vincent
Chaudel, consultant chez Kurt Salmon,
propose une méthode qui a le
mérite de la simplicité : compter le
nombre de spectateurs dans les stades
ainsi que les téléspectateurs. Alors
qu’en 2000 le Championnat attirait
4.300 personnes en moyenne par
match, en 2012-2013, c’était 13.162
(contre 19.261 pour le foot). Quant aux
audiences du rugby, stables selon Canal+,
elles se situent aujourd’hui autour
de 650.000 téléspectateurs de
moyenne (contre 1,5 million pour le
foot).
«Par rapport à la dynamique des
téléspectateurs et des spectateurs,
aujourd’hui, le rugby est sous-évalué
», estime le consultant, pour qui le
Top 14 pourrait se négocier autour de
60-70 millions. Une augmentation légitime si
on prend comme référence la
Ligue1 : la Ligue de football professionnel
touche en effet actuellement 605
millions d’euros chaque année des diffuseurs,
près de 20 fois plus que le
rugby.
D'autant que le rugby possède une
forte valeur intrinsèque. «Le rugby est
un produit différenciant. Canal a toujours
fait beaucoup de pub autour de la
Premier League (environ 300.000 téléspectateurs par
match), mais ce n’est
pas un produit aussi différenciant que
le Top 14», estime un bon connaisseur
du dossier. Du coup, la LNR n’envisage
pas de vendre son produit moins cher
que les 63 millions payés par Canal+
pour la Premier League. «Les deux éléments
clés, c’est l’acquisition et la rétention
du client », décrypte Xavier
Spender, PDG de L’Équipe 24/24, qui
estime que 500.000 abonnés pourraient
rejoindre beIN Sport si elle acquiert
les droits duTop 14.
Sport récurrent
et apte à fidéliser les abonnés, le
rugby a en principe peu de chance
d’essuyer la déconvenue de la Fédération
française de tennis, dont le récent
appel d’offres pour Roland-Garros n’a
pas trouvé preneur.
«La Ligue de rugby peut légitimement
penser qu’elle va obtenir plus de
son diffuseur actuel ou de son concurrent
(beIN Sport). Mais il faut aussi regarder
les audiences des deux chaînes
», prévient cependant Daniel
Bilalian, le directeur des sports de
France Télévisions. BeIN Sport a en effet
beaucoup moins d’abonnés (environ
1,5 million) que Canal+ (environ 5 millions)
et le rugby reste en quête de reconnaissance.
« C’est un sport qui est
en phase de construction et encore assez
régional par rapport au foot », explique
Spender. En négociant de gré à
gré avec Canal + et en obligeant la
chaîne à sortir du bois avant de dénoncer
le contrat, la Ligue a été habile. Mais
dans la partie de poker qui va se dérouler
jusqu’au 13 janvier (date à laquelle
les chaînes intéressées doivent avoir
répondu à l’appel d’offres), les coups de
bluff vont être nombreux. Par exemple,
alors que le chiffre de 170.000 téléspectateurs avait
été avancé comme le record
d’audience de beIN Sport pour un
match de L1, celui-ci s’élève en réalité,
selon nos informations, à 434.000. La
chaîne, qui ne communiquera officiellement
ses chiffres qu’en mars prochain,
a par ailleurs réuni jusqu’à 660.000 personnes pour un match de Ligue
des champions. Comme le résume un
initié, il reste donc pas mal d’inconnues
: «Si j’étais la Ligue, je dirais que mon
produit vaut entre 70 et 120 millions.
Mais il peut aussi valoir beaucoup plus,
ou pas… Ça dépend s’ils (Canal+ et beIN
Sport) se battent.»
(L'Equipe)
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