vendredi 18 novembre 2016

Régie directe ou DSP, les piscines nagent entre deux eaux

Equipement emblématique d'un territoire, la piscine publique connaît depuis une quinzaine d'années une évolution de son modèle de gestion. Quand le besoin de renouvellement des établissements construits dans les années 1970 – le fameux plan "1.000 piscines" – a commencé à se faire sentir, à partir de 2000, de nouveaux acteurs privés ont débarqué pour prêter main-forte aux collectivités territoriales au moyen de la délégation de service public (DSP).
Selon le dernier décompte du recensement des équipements sportifs (RES), la France compte 6.413 bassins de natation, publics ou privés, tous types confondus. Sur ce nombre, seuls quelque 900 établissements  de sport et loisirs appartenant à des collectivités sont ouverts à l'année à tous les publics. C'est sur ce marché que s'est développée la DSP qui concernerait aujourd'hui plus de 300 établissements aquatiques. Déjà très présent en Ile-de-France, ce modèle de gestion se diffuse peu à peu dans les grandes agglomérations de province.

Faire face aux manques de ressources

Les raisons de l'arrivée de partenaires privés dans la gestion des piscines publiques sont diverses. Pour certains, c'est l'avènement des piscines-loisirs, proposant équipements et activités ludiques, qui a conduit à se tourner vers des professionnels du loisir.
L'évolution normative est également mise en avant. "Il y a indiscutablement une accentuation de la réglementation dans les piscines, une réglementation qui coûte cher pour l'eau, des contrats de travail très réglementés. Il y a enfin un problème énergétique auquel les villes sont très attentives", plaide Yves Rouleau, administrateur de l'Andes (Association nationale des élus en charge du sport). Pour Thierry Prat, chef du service des piscines de la ville de Rennes, les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale (FPT) posent une difficulté que la DSP permet de contourner : "Le concours d'éducateur est souvent largement déconnecté du cursus de formation, c'est un vrai problème. De plus, l'Education nationale nous impose des éducateurs, professionnels de l'enseignement, titulaires du Beesan (brevet d'Etat d'éducateur sportif aux activités de la natation) sur le bord du bassin."
La montée en puissance des EPCI dotés de la compétence sport est une autre raison de l'éclosion des DSP. "Pour gérer en direct une petite piscine, une communauté de communes de quinze salariés va devoir doubler ses effectifs, et donc ses ressources. Il est alors intéressant de s'appuyer sur un expert du métier qui va optimiser le modèle pour un coût intégré", explique Sébastien Euksuzian, directeur adjoint d'UCPA Sport Access, qui gère 19 centres aquatiques pour le compte de collectivités.

La rentabilité en question

Mais au fait, pourquoi les délégataires ont-ils investi ce marché ? A propos d'un équipement structurellement déficitaire comme la piscine, on pourrait imaginer une certaine frilosité de la part des partenaires privés. "L'engagement dans les piscines dépend de la hauteur de la subvention d'équilibre. Les piscines au budget équilibré sans subvention se comptent sur les doigts de la main. On peut donc gagner de l'argent même si l'équipement est déficitaire", détaille Sébastien Euksuzian. Concrètement, la rémunération du délégataire et ses frais de gestion sont intégrés dans son offre. Pour l'UCPA, cette "marge" s'élève à 7 ou 8%. Pour un budget de fonctionnement de un million d'euros, le délégataire peut ainsi gagner 80.000 euros sur l'année. Au-delà de cette rémunération, les délégataires font encore jouer leur savoir-faire pour baisser les coûts de fonctionnement : "On est des spécialistes, on a des leviers d'optimisation sur la gestion des lots techniques. Quand on reprend des équipements qui ont été gérés en régie, on arrive assez facilement à optimiser les coûts de fonctionnement", explique Sébastien Euksuzian.
Côté tarifs, les marges de manœuvre existent aussi. "Entre DSP et régie, le curseur se situe entre activités rémunératrices et activités de secteur public, analyse Yves Rouleau. Pour le grand public, le coût social une fois le billet payé est de moitié. Les scolaires, eux, coûtent plus, car il faut les encadrer et il y a très peu de recettes. Mais s'il existe une diversité d'activités, la charge pour la collectivité peut devenir une recette." "Aujourd'hui on aimerait pouvoir faire payer le coût réel à une association, un comité d'entreprise, quitte à ce que ce dernier soit subventionné par la collectivité. On se rendrait compte que nous sommes sur des seuils de rentabilité intéressants", renchérit Thierry Prat, dont les piscines à Rennes sont en régie.
Démonstration est donc faite qu'un délégataire peut gagner de l'argent, mais savoir s'il en gagne effectivement est une autre question. "Si les charges sont mal estimées et que le niveau de recettes n'est pas atteint, vous pouvez perdre de l'argent. C'est pourquoi les DSP sont toujours à risque", poursuit Sébastien Euksuzian. Et le risque est d'autant plus grand que les subventions d'équilibre, qui atteignaient le plus souvent 50% du budget de fonctionnement de la piscine, ont tendance à diminuer ces derniers temps, pour d'établir à 35-40%.

La piscine, un enjeu politique

Avec des avantages indéniables et des délégataires qui se livrent à une rude concurrence sur un marché dominé par Vert Marine (73 centres aquatiques gérés en direct), la DSP est-elle pour autant la panacée ? Non, et loin s'en faut. Tout d'abord, sur certains territoires, le rassemblement de tous les établissements sous un même contrat de DSP est parfois difficilement envisageable. "Autour de moi, certaines communes sont en DSP et d'autres en régie, confie Thierry Prat. Tout transférer à la métropole est donc très compliqué. L'autre problème est la fiscalité : comment trouver une péréquation pour que tout le monde s'y retrouve d'un point de vue tarifaire ?"
Surtout, certains exécutifs locaux rechignent à se détacher d'un équipement symbolique. "La piscine intéresse toutes les franges de la population. Les municipalités veulent garder la maîtrise car il y a une dimension politique à travers la gestion des demandes des associations", pointe Yves Rouleau. Thierry Prat, pour sa part, évoque "des collectivités qui s'étaient engagées très fortement sur la mutualisation de grands équipements il y a quelques années et se sont rendu compte qu'elles n'avaient plus aucun levier, qu'elles ne pouvaient plus organiser de manifestations, prendre des initiatives, car elles n'avaient pas été assez pertinentes dans le contrat établi avec le délégataire".

Le privé arrive dans le financement

Malgré ces limites, la DSP a le vent en poupe. Ces dernières années, 50% des créations de centres aquatiques ont fait l'objet d'un appel d'offres. Alors demain, toujours plus de DSP dans les piscines ? Oui… et non. Au sens générique, le recours à des partenaires privés pour la gestion des piscines devrait continuer à croître. En faisant jouer la concurrence et en externalisant les coûts, les collectivités y trouveront des économies à leur portée. Mais l'état de leurs finances les pousse dorénavant à aller plus loin.
Cela commence par l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), par lequel les collectivités cherchent à "vendre plus cher" les services des piscines de façon à baisser encore les subventions d'équilibre. Cela passe aussi par les DSP concessives qui permettent de réhabiliter ou agrandir des centres aquatiques. Le délégataire apporte dans ce cas tout ou partie du financement en échange d'un contrat de plus longue durée, jusqu'à vingt ans, de façon à amortir son investissement.
Le modèle de la concession pure est par ailleurs en hausse. Il s'agit là d'un consortium d'entreprises (constructeur, financeur, mainteneur, exploitant) qui finance, réalise et exploite l'équipement sur une longue durée (20-25 ans). "Nous sommes en concours pour une bonne dizaine d'équipements, notamment aquatiques, sur ce modèle", admet Sébastien Euksuzian. Pour les collectivités désireuses de réaliser des équipements majeurs malgré les contraintes budgétaires, c'est le moyen de garder la tête hors de l'eau.

(Localtis)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.