« AU DÉBUT, les relations publiques,
c’était : je te file une place à Roland,
puis après on passe un moment ensemble,
on boit un pot, puis on se fait
une bouffe et enfin je te donne un cadeau.
» Gilles Bertoni, ancien directeur
du marketing de Roland-Garros entre
1986 et 2001, en rigole encore.
Pionnier dans le domaine des relations
publiques en France avec la création de
loges dès 1928 et l’installation d’un village
de tentes sur un plancher en bois
en 1979, le tournoi de tennis a, au fil des
années, professionnalisé son affaire au
point d’apparaître aujourd’hui comme
la référence en matière... d’« hospitalité
».
Car c’est désormais la déclinaison,
au singulier ou au pluriel, du mot
anglais hospitality qui s’impose dans
le jargon du marketing. « L’“hospitalité”
englobe le billet pour un événement
et une prestation destinée à une
clientèle essentiellement ‘’b to b’’ (business
to business, à savoir des entreprises)
», décrypte Pauline Rousseau, la
directrice hospitalités et relations publiques d’Amaury
Sport Organisation
(ASO).
« La cible ? Les entreprises en
premier lieu,mais aussi les collectivités,
dans la limite de ce qui est autorisé,
et les richissimes particuliers », complète
Vincent Tong Cuong, directeur
général de Sportfive France, qui possède
un département spécialisé dans
ce domaine. Le marché de l’«hospitalité
» a connu une forte croissance ces
dernières années au point de représenter,
selon lui, « le troisième plus
gros revenu après les droits télé et le
marketing sur les gros événements,
devant les produits dérivés ».
À Roland-Garros, l’« hospitalité »
pèse carrément 20% du chiffre d’affaires,
soit 35 millions d’euros, c’est-à-dire autant que les droits télé et
les partenariats.
Une exception dans le
paysage du marketing sportif et un
exemple pour beaucoup d’organisateurs qui
viennent s’inspirer du savoir-faire de
la Fédération française de tennis
pendant les Internationaux de
France. «On sait qu’on est une référence en matière
d’“hospitalité”,mais
on travaille pour s’améliorer en permanence
et garder notre place de numéro
1», explique Nathalie Sergent, directrice
des activités « b to c »
(business to consumer) et des«hospitalités
» de Roland-Garros.
Sponsor
majeur du tournoi, BNP Paribas invite
ainsi 10 000 clients, collaborateurs et
VIP durant la quinzaine, sur un total de
40 000 personnes accueillies pour
l’ensemble des événements tennis
parrainés par la banque, chaque année.
« Il y a toujours une forte demande
pour Roland-Garros. L’“hospitalité”
contribue à l’image positive d’un
sponsor au service de tous les fans de
tennis », confirme Sébastien Guyader,
responsable marque, sponsoring et
publicité internationale de BNP Paribas.
« Le Tour de France marche aussi
très bien en termes d’“hospitalités” car
il fait rêver, estime Gilles Portelles, directeur
général d’Havas Sports & Entertainment,
qui dispose aussi d’un département dédié.
Organisateur du Tour
de France, ASO gère ses programmes
d’«hospitalité» en direct pour les cinq
plus gros partenaires de l’événement,
mais aussi pour ses clients et prospects
(futurs clients). La société propose
de nombreux packages où on
peut vivre la course dans une voiture
au coeur du peloton, survoler les coureurs en hélicoptère
ou assister à l’arrivée d’une
étape, un verre de champagne
à la main. Pour l’édition 2014, les
12500 places VIP pour l’arrivée sur les
Champs-Élysées le 27 juillet sont quasiment
déjà vendues.
«The place to be, c’est aussi la corbeille du PSG, un formidable endroit pour
les “hospitalités”», sourit Denis Naegelen,
ancien tennisman et président fondateur de
l’agence Quarterback. Le Qatar
avait autant d’intérêt à acheter le
club que sa corbeille !», poursuit le patron de l’agence qui gère aussi
le village
du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe où
se sont pressés 800 VIP, le 6 octobre
dernier. Les stades de football, surtout
les récents ultramodernes, se révèlent
évidemment des lieux très prisés.
«Dans les enceintes modernes, le bon
rapport est de 10% de sièges VIP. C’est
le cas à l’Emirates Stadium de Londres,
au stade Pierre-Mauroy de Lille, à l’Allianz Riviera
de Nice et bientôt à Lyon»,
explique Vincent Tong Cuong. Ces 10%
pèsent lourd car la marge pour les
ayants droit est bien supérieure à celle
d’un billet sec», poursuit le dirigeant de
l’agence officielle d’«hospitalité » de
Roland-Garros et du Stade de France,
mais aussi « distributeur autorisé du
Formula One Paddock Club ».
Car la
Formule 1 reste l’un des musts pour
choyer ses invités lors d’un week-end
de Grand Prix, grâce à l’accès à la piste
des stands. « La F 1 est un sport très
verrouillé par Bernie Ecclestone (patron
de la F 1) et de moins en moins demandé
car il est cher », tempère Denis
Naegelen de Quarterback. Quel que soit
le spectacle sportif, c’est la rareté qui fait
la valeur de l’invitation et l’impression
de vivre un moment unique.
Et le business dans tout ça ? C’est là
toute l’ambiguïté de l’« hospitalité »,
qui met l’invité dans les meilleures
conditions mais pas autour d’une table
de négociation. «Bien sûr que du business
se fait là. L’objectif des clients est
d’avoir un retour sur investissement»,
confirme Nathalie Sergent.
« On sait
qu’énormément de business se fera
pendant le Mondial au Brésil car il y
aura les bonnes personnes dans les
stades. Les entreprises vont passer
cinq heures avec leurs clients dans une
proximité incroyable. Ils vont arriver en
costume-cravate, puis l’enlever pour
mettre le maillot », renchérit Fabrice
Olivier d’ASO, en charge de la vente des
« hospitalités » de la Coupe du monde
en France.
Des moments qui n’ont,
semble-t-il, pas de prix. Même à
l’heure de la crise économique puisque
le marché de l’« hospitalité » est resté
stable selon ses acteurs. Voilà pourquoi
les organisateurs d’événements, tout
comme les agences spécialisées, cherchent
à cajoler toujours plus leurs invités.
« La tendance est de plonger les
VIP dans une expérience unique »,
analyse Gilles Portelle.
Pendant les
Jeux de Londres, l’été 2012, l’agence a
ainsi plongé les invités d’EDF, son
client, dans le quotidien des athlètes
du team EDF en organisant de multiples
rencontres avec eux. ASO propose
depuis peu à ses top invités de «rouler
sur une partie du parcours d’une étape
du Tour de France une ou deux heures
avant les coureurs », explique Pauline
Rousseau : « L’idée est de faire vivre le
Tour afin que l’invité puisse être au
coeur de l’événement .» Le rêve, qui
coûte 2500 euros, est accessible à une
petite vingtaine de personnes. « Je me
souviens qu’à Roland-Garros, quand je
disais aux invités: Si vous voulez, on
va passer dans les vestiaires, ils
avaient des étoiles dans les yeux. Si les
gens se sentent achetés, ça ne marche
pas», conclut Gilles Bertoni.
(L'Equipe)
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