vendredi 22 novembre 2013

Autour des grands événements sportifs, les hospitalités ne connaissent pas la crise

« AU DÉBUT, les relations publiques, c’était : je te file une place à Roland, puis après on passe un moment ensemble, on boit un pot, puis on se fait une bouffe et enfin je te donne un cadeau. » Gilles Bertoni, ancien directeur du marketing de Roland-Garros entre 1986 et 2001, en rigole encore. Pionnier dans le domaine des relations publiques en France avec la création de loges dès 1928 et l’installation d’un village de tentes sur un plancher en bois en 1979, le tournoi de tennis a, au fil des années, professionnalisé son affaire au point d’apparaître aujourd’hui comme la référence en matière... d’« hospitalité ».
Car c’est désormais la déclinaison, au singulier ou au pluriel, du mot anglais hospitality qui s’impose dans le jargon du marketing. « L’“hospitalité” englobe le billet pour un événement et une prestation destinée à une clientèle essentiellement ‘’b to b’’ (business to business, à savoir des entreprises) », décrypte Pauline Rousseau, la directrice hospitalités et relations publiques d’Amaury Sport Organisation (ASO).
« La cible ? Les entreprises en premier lieu,mais aussi les collectivités, dans la limite de ce qui est autorisé, et les richissimes particuliers », complète Vincent Tong Cuong, directeur général de Sportfive France, qui possède un département spécialisé dans ce domaine. Le marché de l’«hospitalité » a connu une forte croissance ces dernières années au point de représenter, selon lui, « le troisième plus gros revenu après les droits télé et le marketing sur les gros événements, devant les produits dérivés ».
À Roland-Garros, l’« hospitalité » pèse carrément 20% du chiffre d’affaires, soit 35 millions d’euros, c’est-à-dire autant que les droits télé et les partenariats. Une exception dans le paysage du marketing sportif et un exemple pour beaucoup d’organisateurs qui viennent s’inspirer du savoir-faire de la Fédération française de tennis pendant les Internationaux de France. «On sait qu’on est une référence en matière d’“hospitalité”,mais on travaille pour s’améliorer en permanence et garder notre place de numéro 1», explique Nathalie Sergent, directrice des activités « b to c » (business to consumer) et des«hospitalités » de Roland-Garros.
Sponsor majeur du tournoi, BNP Paribas invite ainsi 10 000 clients, collaborateurs et VIP durant la quinzaine, sur un total de 40 000 personnes accueillies pour l’ensemble des événements tennis parrainés par la banque, chaque année. « Il y a toujours une forte demande pour Roland-Garros. L’“hospitalité” contribue à l’image positive d’un sponsor au service de tous les fans de tennis », confirme Sébastien Guyader, responsable marque, sponsoring et publicité internationale de BNP Paribas. « Le Tour de France marche aussi très bien en termes d’“hospitalités” car il fait rêver, estime Gilles Portelles, directeur général d’Havas Sports & Entertainment, qui dispose aussi d’un département dédié.

Organisateur du Tour de France, ASO gère ses programmes d’«hospitalité» en direct pour les cinq plus gros partenaires de l’événement, mais aussi pour ses clients et prospects (futurs clients). La société propose de nombreux packages où on peut vivre la course dans une voiture au coeur du peloton, survoler les coureurs en hélicoptère ou assister à l’arrivée d’une étape, un verre de champagne à la main. Pour l’édition 2014, les 12500 places VIP pour l’arrivée sur les Champs-Élysées le 27 juillet sont quasiment déjà vendues.
«The place to be, c’est aussi la corbeille du PSG, un formidable endroit pour les “hospitalités”», sourit Denis Naegelen, ancien tennisman et président fondateur de l’agence Quarterback. Le Qatar avait autant d’intérêt à acheter le club que sa corbeille !», poursuit le patron de l’agence qui gère aussi le village du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe où se sont pressés 800 VIP, le 6 octobre dernier. Les stades de football, surtout les récents ultramodernes, se révèlent évidemment des lieux très prisés. «Dans les enceintes modernes, le bon rapport est de 10% de sièges VIP. C’est le cas à l’Emirates Stadium de Londres, au stade Pierre-Mauroy de Lille, à l’Allianz Riviera de Nice et bientôt à Lyon», explique Vincent Tong Cuong. Ces 10% pèsent lourd car la marge pour les ayants droit est bien supérieure à celle d’un billet sec», poursuit le dirigeant de l’agence officielle d’«hospitalité » de Roland-Garros et du Stade de France, mais aussi « distributeur autorisé du Formula One Paddock Club ».
Car la Formule 1 reste l’un des musts pour choyer ses invités lors d’un week-end de Grand Prix, grâce à l’accès à la piste des stands. « La F 1 est un sport très verrouillé par Bernie Ecclestone (patron de la F 1) et de moins en moins demandé car il est cher », tempère Denis Naegelen de Quarterback. Quel que soit le spectacle sportif, c’est la rareté qui fait la valeur de l’invitation et l’impression de vivre un moment unique.
Et le business dans tout ça ? C’est là toute l’ambiguïté de l’« hospitalité », qui met l’invité dans les meilleures conditions mais pas autour d’une table de négociation. «Bien sûr que du business se fait là. L’objectif des clients est d’avoir un retour sur investissement», confirme Nathalie Sergent.
« On sait qu’énormément de business se fera pendant le Mondial au Brésil car il y aura les bonnes personnes dans les stades. Les entreprises vont passer cinq heures avec leurs clients dans une proximité incroyable. Ils vont arriver en costume-cravate, puis l’enlever pour mettre le maillot », renchérit Fabrice Olivier d’ASO, en charge de la vente des « hospitalités » de la Coupe du monde en France.
Des moments qui n’ont, semble-t-il, pas de prix. Même à l’heure de la crise économique puisque le marché de l’« hospitalité » est resté stable selon ses acteurs. Voilà pourquoi les organisateurs d’événements, tout comme les agences spécialisées, cherchent à cajoler toujours plus leurs invités. « La tendance est de plonger les VIP dans une expérience unique », analyse Gilles Portelle.
Pendant les Jeux de Londres, l’été 2012, l’agence a ainsi plongé les invités d’EDF, son client, dans le quotidien des athlètes du team EDF en organisant de multiples rencontres avec eux. ASO propose depuis peu à ses top invités de «rouler sur une partie du parcours d’une étape du Tour de France une ou deux heures avant les coureurs », explique Pauline Rousseau : « L’idée est de faire vivre le Tour afin que l’invité puisse être au coeur de l’événement .» Le rêve, qui coûte 2500 euros, est accessible à une petite vingtaine de personnes. « Je me souviens qu’à Roland-Garros, quand je disais aux invités: Si vous voulez, on va passer dans les vestiaires, ils avaient des étoiles dans les yeux. Si les gens se sentent achetés, ça ne marche pas», conclut Gilles Bertoni.

(L'Equipe)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.