lundi 6 juin 2016

Euro 2016 - Comment naissent les éléphants blancs ? (chapitre 4 - Faire avec l'existant, c'est possible !)

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Pour éviter ces catastrophes économiques – et environnementales, empressons-nous d'ajouter avec un brin d'opportunisme pour mieux coller à l'esprit verdoyant de notre époque –, on aurait pu s'inspirer de deux contre-exemples qui démontrent qu'on n'est pas obligé de se lancer dans des travaux pharaoniques pour accueillir une compétition de football, fût-elle la plus importante de la planète. Retournons un peu en arrière…
En 1983, le Mexique hérita de l'organisation de la Coupe du monde 1986, d'abord confiée à la Colombie. Mal préparée, cette dernière avait été contrainte de renoncer. La Fifa – qui avait poussé la Colombie à ce renoncement en lui imposant sciemment un cahier des charges qu'elle ne pouvait honorer – en fut soulagée. Personne parmi les caciques du ballon rond n'avait envie de voir son équipe nationale ridiculisée dans un tournoi disputé à plus de 2.000 mètres d'altitude, qui plus est dans un pays aux prises avec quelques troubles dus au commerce de produits agricoles locaux en délicatesse avec la réglementation internationale. Exit la Colombie. Seulement il fallut lui trouver un remplaçant qui n'aurait pas le temps de faire sortir de terre de grands stades avant le coup d'envoi du premier match, fixé au 31 mai 1986. Le Brésil, un temps pressenti, fut écarté en raison de l'amitié fort contrariée entre João Havelange, président de la Fifa, et le patron du football brésilien de l'époque. Restèrent les Etats-Unis, le Canada et le Mexique pour prétendre à l'organisation du Mondial 1986 censé échoir à un pays américain selon la règle de l'alternance avec l'Europe alors en vigueur. Comme on pouvait s'y attendre, la Fifa envoya une équipe d'inspection au Mexique… mais pas chez ses deux concurrents nord-américains qu'on soupçonnait, non sans raison, de vouloir déranger les petites habitudes de la maison. On mit la décision sur le compte d'une culture footballistique aussi restreinte que les permissions de sorties nocturnes dans un pensionnat de jeunes filles et on désigna le Mexique comme hôte de la compétition. Et lorsqu'on dit "on", il s'agit de pure forme. Il eût mieux valu dire "il". La décision était celle d'Havelange et fut prise sans vote du comité exécutif de la Fifa avant même l'audition des trois candidats[1], quand bien même le Mexique ne remplissait qu'imparfaitement le cahier des charges. On mit donc quelques coups de peinture sur des stades dont la capacité d'accueil était parfois en deçà des exigences. Mais après tout, dans ces enceintes déjà utilisées seize ans auparavant, le ballon n'en roula pas moins bien !
Pour l'organisation de la Coupe du monde 1994, les Etats-Unis, qui avait entre-temps ravalé leur orgueil après la gifle reçue en 1983, furent désignés devant le Brésil et le Maroc. Là, pour ce qui était des stades, on se trouva plutôt face à un problème de riches. Car des enceintes d'une capacité comprise entre 40.000 et 100.000 places, les Etats-Unis en possédaient plusieurs dizaines. Cette fois, il y eut bien une visite des dix-huit stades pressentis dont les propriétaires s'engagèrent à financer la mise en conformité, la plupart d'entre eux servant habituellement au football américain.
Vous avez bien lu : que ce soit au Mexique en 1986 ou aux Etats-Unis en 1994, la Coupe du monde de football avait été organisée sans construction neuve ni rénovation profonde d'aucun stade. Et toutes deux furent d'immenses succès sportifs et populaires. Pourtant, ce modèle ne fut qu'une parenthèse dans une marche en avant vers toujours plus de gigantisme, toujours plus d'investissements, toujours plus d'exigence de la part de la Fifa.
A cet égard, France 1998 a constitué un nouveau tournant… En 1992, alors que le pays organisateur du tournoi qui allait sacrer l'équipe du capitaine Didier Deschamps n'avait pas encore été désigné, le professeur Pierre Collomb, directeur du centre du droit du sport de l'université Nice-Sophia-Antipolis, écrivait[2] : "M. Havelange, président de la Fédération internationale de football, dicte à la France, candidate à l'organisation de la Coupe du monde 1998, sa politique d'équipement en stades (exigence du "grand stade" actuellement prévu à Melun-Sénart)." Pour l'anecdote, on sait depuis que le grand stade fut construit à Saint-Denis. Mais cela n'y changea rien : ce "grand stade" était sportivement inutile à la France. Pire, il est devenu au fil du temps un fardeau économique. Faute de club résident, l'Etat a dû verser au consortium privé qui gère le Stade de France 115 millions d'euros de redevance avant que Valérie Fourneyron, ministre des Sports, ne siffle la fin de la récrée en 2013. De leur côté, les fédérations françaises de football et de rugby cherchent à se libérer d'une convention avec le consortium du Stade de France qui les oblige à jouer un certain nombre de match dans l'enceinte dionysienne dont les droits de location sont exorbitants. 
Quant aux autres stades utilisés à l'occasion du Mondial de football 1998, il est troublant de lire en 1992 sous la plume de Kris Van Limbergen[3], criminologue et conseiller auprès du ministère de l'Intérieur belge : "Les stades français font partie des plus modernes d'Europe et, par conséquent, sont bien équipés sur le plan de la sécurité." Car si ce n'est pas un problème de sécurité qui a poussé à rénover en profondeur les stades français pour le Mondial 1998, ce n'est pas non plus l'impérieuse nécessité d'agrandir des enceintes trop petites. Van Limbergen note en effet : "Aussi, le football français ne connaît pas une telle violence car les gradins sont à moitié vides." Autrement dit, les stades tels qu'ils résultaient des profondes transformations de l'Euro 1984 auraient dû suffire à accueillir le Mondial 1998, a fortiori avec le renfort du "grand stade".
Avec l'exemple de la Coupe du monde 1998 – où se mêlent les exigences d'une fédération internationale, les ambitions des dirigeants politiques et des acteurs majeurs du BTP… qui eux-mêmes ont un (grand) pied dans la télévision, et financent donc à travers elle les grands événements sportifs –, nous commençons à entrevoir une réponse possible à la question : à qui profite l'Euro 2016 ?...



[1] France Football, 24 mai 1983.
[2] Pouvoirs, n°61, 1992.
[3] Pouvoirs, n°61, 1992.

Lire le chapitre précédent : Petite histoired'éléphants blancs

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.