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En 1983, le Mexique hérita de l'organisation de la Coupe du
monde 1986, d'abord confiée à la Colombie. Mal préparée, cette dernière avait
été contrainte de renoncer. La Fifa – qui avait poussé la Colombie à ce
renoncement en lui imposant sciemment un cahier des charges qu'elle ne pouvait
honorer – en fut soulagée. Personne parmi les caciques du ballon rond n'avait
envie de voir son équipe nationale ridiculisée dans un tournoi disputé à plus
de 2.000 mètres d'altitude, qui plus est dans un pays aux prises avec quelques
troubles dus au commerce de produits agricoles locaux en délicatesse avec la
réglementation internationale. Exit la Colombie. Seulement il fallut lui
trouver un remplaçant qui n'aurait pas le temps de faire sortir de terre de
grands stades avant le coup d'envoi du premier match, fixé au 31 mai 1986. Le
Brésil, un temps pressenti, fut écarté en raison de l'amitié fort contrariée
entre João Havelange, président de la Fifa, et le patron du football brésilien
de l'époque. Restèrent les Etats-Unis, le Canada et le Mexique pour prétendre à
l'organisation du Mondial 1986 censé échoir à un pays américain selon la règle
de l'alternance avec l'Europe alors en vigueur. Comme on pouvait s'y attendre,
la Fifa envoya une équipe d'inspection au Mexique… mais pas chez ses deux
concurrents nord-américains qu'on soupçonnait, non sans raison, de vouloir
déranger les petites habitudes de la maison. On mit la décision sur le compte
d'une culture footballistique aussi restreinte que les permissions de sorties nocturnes
dans un pensionnat de jeunes filles et on désigna le Mexique comme hôte de la
compétition. Et lorsqu'on dit "on", il s'agit de pure forme. Il eût
mieux valu dire "il". La décision était celle d'Havelange et fut
prise sans vote du comité exécutif de la Fifa avant même l'audition des trois
candidats[1], quand bien même le Mexique
ne remplissait qu'imparfaitement le cahier des charges. On mit donc quelques coups
de peinture sur des stades dont la capacité d'accueil était parfois en deçà des
exigences. Mais après tout, dans ces enceintes déjà utilisées seize ans
auparavant, le ballon n'en roula pas moins bien !
Pour l'organisation de la Coupe du monde 1994, les Etats-Unis,
qui avait entre-temps ravalé leur orgueil après la gifle reçue en 1983, furent
désignés devant le Brésil et le Maroc. Là, pour ce qui était des stades, on se
trouva plutôt face à un problème de riches. Car des enceintes d'une capacité
comprise entre 40.000 et 100.000 places, les Etats-Unis en possédaient
plusieurs dizaines. Cette fois, il y eut bien une visite des dix-huit stades
pressentis dont les propriétaires s'engagèrent à financer la mise en conformité,
la plupart d'entre eux servant habituellement au football américain.
Vous avez bien lu : que ce soit au Mexique en 1986 ou aux
Etats-Unis en 1994, la Coupe du monde de football avait été organisée sans
construction neuve ni rénovation profonde d'aucun stade. Et toutes deux furent d'immenses
succès sportifs et populaires. Pourtant, ce modèle ne fut qu'une parenthèse
dans une marche en avant vers toujours plus de gigantisme, toujours plus
d'investissements, toujours plus d'exigence de la part de la Fifa.
A cet égard, France 1998 a constitué un nouveau tournant… En
1992, alors que le pays organisateur du tournoi qui allait sacrer l'équipe du
capitaine Didier Deschamps n'avait pas encore été désigné, le professeur Pierre
Collomb, directeur du centre du droit du sport de l'université Nice-Sophia-Antipolis,
écrivait[2] : "M. Havelange,
président de la Fédération internationale de football, dicte à la France,
candidate à l'organisation de la Coupe du monde 1998, sa politique d'équipement
en stades (exigence du "grand stade" actuellement prévu à Melun-Sénart)."
Pour l'anecdote, on sait depuis que le grand stade fut construit à Saint-Denis.
Mais cela n'y changea rien : ce "grand stade" était sportivement
inutile à la France. Pire, il est devenu au fil du temps un fardeau économique.
Faute de club résident, l'Etat a dû verser au consortium privé qui gère le
Stade de France 115 millions d'euros de redevance avant que Valérie Fourneyron,
ministre des Sports, ne siffle la fin de la récrée en 2013. De leur côté, les
fédérations françaises de football et de rugby cherchent à se libérer d'une
convention avec le consortium du Stade de France qui les oblige à jouer un
certain nombre de match dans l'enceinte dionysienne dont les droits de location
sont exorbitants.
Quant aux autres stades utilisés à l'occasion du Mondial de
football 1998, il est troublant de lire en 1992 sous la plume de Kris Van
Limbergen[3], criminologue et conseiller
auprès du ministère de l'Intérieur belge : "Les stades français font
partie des plus modernes d'Europe et, par conséquent, sont bien équipés sur le
plan de la sécurité." Car si ce n'est pas un problème de sécurité qui a
poussé à rénover en profondeur les stades français pour le Mondial 1998, ce
n'est pas non plus l'impérieuse nécessité d'agrandir des enceintes trop
petites. Van Limbergen note en effet : "Aussi, le football français ne
connaît pas une telle violence car les gradins sont à moitié vides."
Autrement dit, les stades tels qu'ils résultaient des profondes transformations
de l'Euro 1984 auraient dû suffire à accueillir le Mondial 1998, a fortiori
avec le renfort du "grand stade".
Avec l'exemple de la Coupe du monde 1998 – où se mêlent les
exigences d'une fédération internationale, les ambitions des dirigeants politiques
et des acteurs majeurs du BTP… qui eux-mêmes ont un (grand) pied dans la
télévision, et financent donc à travers elle les grands événements sportifs –,
nous commençons à entrevoir une réponse possible à la question : à qui profite
l'Euro 2016 ?...
[1] France
Football, 24 mai 1983.
[2] Pouvoirs,
n°61, 1992.
[3] Pouvoirs,
n°61, 1992.
Lire le chapitre précédent : Petite histoired'éléphants blancs
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