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En 1990, les stades Olympique de Rome, San Paolo de
Naples et San Siro de Milan furent entièrement couverts, le stade Bentegodi de
Vérone fut agrandi. A Gênes, on détruisit puis on reconstruisit le stade
Luigi-Ferraris. Les travaux les plus spectaculaires concernèrent deux nouvelles
constructions. A Turin, on abandonna le vieux Stadio Comunale au profit d'un stade tout
neuf… totalement inadapté au football.
Au point qu'après des d'années passées à s'enrhumer dans les courants d'air de
ce monstre froid et surdimensionné où ses supporteurs étaient tenus à distance
lunaire de l'aire de jeu, la Juventus de Turin préféra que l'enceinte fût
détruite en 2008 pour pouvoir se construire un autre stade… plus petit. Quant à
l'autre club local, le Torino, il avait fait ses valises dès 2006, pour trouver
refuge au… Stadio Comunale rénové. Fiasco, vous avez dit fiasco ? Enfin, à
Bari, on édifia une enceinte de 58.000 places dans une ville où le club phare
avait navigué entre les Séries B et C durant les deux décennies précédentes.
Puisque nous venons d'évoquer Bari, le moment est venu
d'ouvrir une parenthèse enchantée, qui va nous transporter vers l'Inde
mystérieuse et nous éclairer sur un terme récurrent à l'heure d'évoquer ce
grand vaisseau immobile et triste de notre océan urbain, vaisseau dont les
silences sont d'autant plus assourdissants qu'il a été conçu pour accueillir
des dizaines de milliers de supporteurs vociférant. Nous avons nommé l'éléphant
blanc (celui-là même qui barrit).
"Un éléphant blanc est un éléphant albinos. Extrêmement
rares, les éléphants blancs sont considérés en Asie comme des joyaux
inestimables." Ce n'est pas nous qui l'affirmons, mais Wikipédia, ceci
étant précisé pour qu'on ne nous accuse pas de piller le web sans citer nos
sources ! Joyaux inestimables, donc, les éléphants blancs étaient jadis offerts
en cadeau aux princes indiens les plus puissants. Offrande attentionnée s'il en
est, à ceci près qu'étant un animal sacré, l'éléphant blanc ne saurait travailler
et accomplir aucune tâche utile pour son propriétaire. Et la grande et belle bête
de se muer en une grosse et encombrante et coûteuse chose qu'il faut entretenir
à grands frais sans espoir d'en tirer le moindre bénéfice autre qu'esthétique.
Et naturellement, il est hors de question de rendre son cadeau au généreux
donateur qui, de sa province reculée mais prospère, ricane dans sa barbe
fleurie (ou se frise les moustaches, selon la mode en vigueur).
Si le football n'a pas l'apanage des éléphants blancs – le
stade olympique de Montréal construit pour les JO de 1976 constituant une
référence mondiale en la matière –, il enfonce toutefois tous les autres sports
à l'heure des bilans. Jugez-en plutôt…
Au Portugal, pas moins de dix stades d'une capacité moyenne
supérieure à 37.000 places furent exigés pour accueillir l'Euro 2004. Des
stades construits ou profondément rénovés qui pour certains servaient à des
équipes ne rassemblant pas plus de 2.000 spectateurs en championnat. Comme à
Leiria, où le club a fini sa course en première division en n'alignant que huit
joueurs – le minimum autorisé – pour faire des économies ! A Leiria, la
rénovation du stade coûta 55 millions d'euros, et lors de l'Euro 2004, on y
joua que deux matchs… dont l'un ne fit pas le plein. A Faro, le Stade de
l'Algarve flambant neuf et ses 30.000 places, d'un coût global de 66 millions
d'euros, n'ont jamais trouvé de club résident pérenne.
La même année, les Jeux olympiques d'Athènes ont doté la
capitale grecque d'un ensemble d'équipements sportifs dont l'état de
délabrement avancé dix ans plus tard laissait augurer un futur potentiellement
glorieux. Qui sait vraiment si le Parthénon ne fut pas en son temps un bâtiment
surdimensionné et finalement inutile sorti de terre par la seule volonté d'un
monarque mégalomane (désolé pour le pléonasme) ?
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A-t-on seulement appris de ces erreurs ? Pensez-vous ! Pour l'édition 2014 de sa Coupe du monde, et après plusieurs années d'une profonde crise économique mondiale, la Fifa se laissa déborder par la fièvre constructrice du pays hôte, le Brésil, un pays où certes le football est roi, mais où les stades de première division ne rassemble en moyenne que 13.000 spectateurs par match[1]. La palme de l'hérésie revenant cette fois à Brasilia, où le stade fut rénové et agrandi à grands frais alors qu'il n'existe pas de club de haut niveau dans la capitale fédérale brésilienne. Après le tournoi, pour amortir les coûts d'entretien exorbitants de l'équipement, on transforma le parking en dépôts de bus ! A Cuiaba, dans une ville où l'équipe locale attire rarement plus de 1.000 spectateurs, c'est une enceinte de 42.000 places que l'on construisit. A Manaus, on détruisit un stade entièrement rénové en 1995 pour en rebâtir un nouveau alors que le club local évolue en 4e division !
A chaque fois, la même et obsédante question revient à l'esprit : pourquoi construire de grands stades dans des villes qui n'en ont absolument pas besoin ?!
[1] Sport éco, ministère des Sports, avril
2015.
Lire le chapitre précédent : La télévisionchange la donne
Lire la suite : Faire avecl'existant, c'est possible !
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