vendredi 10 juin 2016

Euro 2016 : les collectivités locales joueront le match au prix fort

L'Euro 2016 démarre ce 10 juin avec le match France-Roumanie. En termes d'organisation, une telle compétition – la troisième plus importante au monde après les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football – repose sur la puissance détentrice des droits de l'événement, ici l'UEFA, la Fédération française de football (FFF), et l'Etat français, qui apporte des garanties indispensables, allant de la prise en charge de la sécurité des matchs à l'exonération fiscale des bénéfices réalisés par la SAS Euro 2016, société ad hoc détenue par l'UEFA (95%) et la FFF (5%). Mais rien ne serait possible sans les collectivités locales qui se sont investies – et ont investi ! – pour accueillir l'événement. Stades, fans-zones et camps de base : tour d'horizon d'une implication sans précédent.
Premier dossier à régler dans l'organisation de l'Euro : les stades. Selon l'exigeant cahier des charges de l'UEFA (lire ci-contre notre article du 9 juin 2016, consacré aux villes qui, du fait de ce cahier des charges, ont dû renoncer à devenir villes-hôtes), parmi les dix enceintes de la compétition, seul le Stade de France ne nécessitait pas d'aménagement d'envergure. Ailleurs, les estimations de travaux allaient de 56 millions d'euros à Toulouse, pour une rénovation, à 325 millions à Lille, pour la construction d'un stade neuf. Au total, la facture des stades s'élève à 1,7 milliard d'euros.
Pour payer cette somme inédite dans l'histoire des grands événements sportifs en France, les collectivités se sont tournées vers deux solutions. La première, traditionnelle, consistant à financer soi-même les travaux. La seconde, novatrice en football, revenant à s'appuyer sur le secteur privé. De fait, la ligne de partage des eaux se situait à 100 millions d'euros. En deçà de ce montant, il ne s'agissait que de rénovations plus ou moins profondes, et la solution du financement public (avec une participation des clubs résidents titulaires d'un bail emphytéotique administratif, le cas échéant) a été retenue à Paris, Saint-Etienne, Lens et Toulouse.
L'inédit, ce fut donc le recours aux partenariats public-privé pour les réalisations les plus coûteuses : constructions ex-nihilo à Bordeaux, Lille et Nice, agrandissement et couverture totale à Marseille. Et le moins que l'on puisse dire est que l'aventure juridico-financière ne fut pas un long fleuve tranquille pour les collectivités.

Les PPP : surcoûts et opacité

A Bordeaux, un élu d'opposition, Matthieu Rouveyre, s'est lancé dès le début du projet de grand stade dans une véritable croisade, fustigeant tout à la fois les coûts et l'opacité du dossier. Alors qu'en 2011, le conseil municipal autorisait la signature par la ville du contrat de PPP pour la réalisation du stade, le coût mis en avant était de 3.583.000 euros par an. Mais pour Matthieu Rouveyre, la somme réellement payée annuellement se montait à 6.668.714 euros une fois réintégrées une subvention de la ville et une exonération d'impôts consentie à l'exploitant du stade. Et sur les 35 ans de durée du contrat, d'une facture totale initiale de 125.405.000 euros, on passait à 233.404.990 euros. Dans un arrêt du 11 mai 2016, le Conseil d'Etat donne raison à Matthieu Rouveyre : "Le Conseil d'Etat estime qu'en l'espèce, l'information donnée aux conseillers municipaux sur le 'coût prévisionnel global' du contrat a été insuffisante."
La question du coût réel a également fait couler beaucoup d'encre à Marseille. En février 2015, la Cour des comptes détaillait le coût du stade Vélodrome dans son rapport "Les partenariats public-privé des collectivités territoriales : des risques à maîtriser". Partant d'un coût d'investissement initial de 268 millions d'euros, dont 133 millions de financement public, elle estimait qu'à la fin du contrat de 30 ans, l'équipement aura eu un coût net pour la ville de 551 millions d'euros.
A Nice, c'est la cour régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur qui a mis son nez dans le contrat de PPP. Dans un premier temps, la cour a estimé que "la jauge retenue pour le stade [35.000 places] apparaît trop importante tant au regard des besoins du club de football de l'OGC Nice que de la rareté des évènements sportifs de grande ampleur organisés en France", et note que "le recours au PPP dans le cadre du stade de Nice ne répondait pas aux critères légaux". Mais surtout, la cour pointe le fait que "le contrat concerne pour une part importante un centre commercial de très grande ampleur, 'Nice One', intégré en grande partie dans la structure du stade", et conclut que si "le centre commercial sera la propriété d'un actionnaire de l'OGC Nice qui en a acquis les droits […], il a de facto été payé en partie par la commune".
Enfin, le dernier PPP conclu pour la construction d'un stade de l'Euro n'a pas non plus été épargné par les critiques. A propos du grand stade de Lille, la Cour des comptes, toujours dans son rapport de février 2015, estime que "la multiplication du nombre de critères de notation des offres dans les règlements de consultation (7 critères et 33 sous-critères) et les changements tardifs dans la pondération de chacun d'entre eux, a entraîné un bouleversement du classement des offres, amenant la chambre régionale des comptes à souligner l'opacité de la notation".

Des surcoûts dus à la sécurité

Tirant les premiers enseignements de l'aventure des PPP dans le football, le Sénat a proposé dans un rapport de 2014 l'interdiction de ces contrats pour financer la construction de ce type d'enceintes sportives. Sur l'aspect économique, Thierry Braillard, secrétaire d'Etat aux Sports, estimait pour sa part que "le PPP a servi principalement les intérêts des constructeurs" (JDD, 27 septembre 2015).
Au total, si le secteur privé finance les deux tiers des investissements dans les stades, la facture à l'issue des contrats de PPP sera très élevée pour les collectivités. Et cela sans compter les coûts d'aménagement de voirie et de transports en commun indispensables pour assurer l'accès aux enceintes neuves ou rénovées. A Lyon, où le coût de construction du stade est assuré à 95% par de l'argent privé, le seul coût de l'échangeur d'autoroute permettant l'accès au nouvel équipement est de 23,5 millions d'euros, dont 19,6 millions d'argent public.
Au-delà des stades, le cahier des charges de l'UEFA suggérait très fortement aux villes-hôtes d'aménager des fans-zones en centre-ville pour y retransmettre les matchs sur écran géant, le tout dans un environnement largement préempté par les partenaires commerciaux de l'organisateur. Les collectivités ont ainsi redoublé d'imagination pour conclure avec des aménageurs des accords leur permettant de faire financer ces espaces contre une redevance.
En revanche, difficile de couper sur les frais de sécurité. Les attentats de l'année 2015 ont fait grimper la facture globale pour la sécurité des fans-zones de 12 à 24 millions d'euros. Si dans un premier temps, l'UEFA exigeait que ces coûts soient entièrement pris en charge par l'Etat et les collectivités, elle a finalement consenti à mettre la main au porte-monnaie.
Pour les villes où ne se dérouleront pas de matchs de l'Euro, il restait un autre moyen de participer directement à l'événement : devenir camp de base d'une équipe participante. Ici, nous sommes loin des sommes astronomiques citées plus haut. Toutefois, là encore, le cahier des charges s'est montré assez exigeant. Les terrains d'entraînement ont dû être entretenus quasi quotidiennement depuis le mois d'avril, et, bien entendu, ils ont été fermés aux clubs locaux. Parallèlement, les villes ont, ici aussi, dû mettre en place des dispositifs de sécurité impliquant le plus souvent les polices municipales, voire des sociétés privées (lire notre article du 18 avril).
Dans cet océan de dépenses, il est toutefois à remarquer que les villes-hôtes – qui pour la première fois s'étaient regroupées en "club" - ont obtenu quelques (petites) concessions de la part de l'UEFA. Tout d'abord une indemnité pour la mise à disposition des stades, à hauteur de 340.000 euros par rencontre… moins les 60.000 euros correspondant à la charge des dispositifs de sécurité, d'accueil et de secours pris en charge directement par l'organisateur. Ensuite une dotation globale de 20 millions d'euros à partager entre les dix villes-hôtes.
Ces efforts sans précédent de la part des collectivités ont porté leurs fruits. Tout est en ordre de marche pour que la fête du football européen débute, ce vendredi 10 juin 2016. Tout ? Oui, à condition que la "pagaille" sociale s'apaise : une grève perdurait jeudi à la SNCF, une autre menaçait toujours à Air France et les poubelles débordaient par endroits à Paris et Marseille.
Une fois ces problèmes résolus, la population pourra communier autour du ballon rond... devant un écran géant, à condition que la projection soit exempte de tout caractère commercial (vente de boissons, paiement d'un droit d'entrée, parrainage d'un tiers…)*, et, comme le stipule l'instruction interministérielle du 22 février sur "les dispositions en matière de sécurité" concernant l'Euro "que les zones 'grands écrans' ne soient pas organisées sur l'espace public ouvert, mais dans des espaces clos et dont l'accès sera contrôlé". 

* Dans le cas contraire, la municipalité en sera quitte pour acheter une licence auprès de l'UEFA.

(Localtis)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.