jeudi 7 novembre 2013

Nicolas Hourcade : "Valls a renforcé la politique répressive" face aux supporters

Nicolas Hourcade, professeur agrégé de sciences sociales à l'École centrale de Lyon, est spécialiste des “ultras” et des politiques de gestion de ces supporteurs très actifs et virulents. Il est le coauteur du Livre vert du supportérisme remis en octobre 2010, qui proposait de renforcer le rôle des associations de supporteurs comme « partenaires sociaux du football ». Livre vert resté lettre morte. Le sociologue revient sur les effets pervers de la politique répressive, mise en place depuis 2009 et poursuivie par le gouvernement socialiste.
Quand la France a-t-elle créé un service national et des forces de police spécifiques pour le football ?
Nicolas Hourcade. La politique française de lutte contre le hooliganisme date vraiment de la saison 2009-2010. Les premières lois sur la sécurité dans les manifestations sportives sont apparues sous Michèle Alliot-Marie en 1993 avec les interdictions judiciaires de stade. Puis il y a eu une accélération à partir de 2006, où selon la méthode Sarkozy, le gouvernement répondait à chaque problème de sécurité par une nouvelle loi plus répressive. Mais il n’y avait pas de politique constante. En septembre 2009, après la mort d’un supporteur à Belgrade, le ministère de l’intérieur a créé la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Elle remplace et complète le “point national information football” (PNIF) qui existe dans tous les pays européens pour centraliser les informations sur le hooliganisme. Se met alors en place une concertation très forte entre les autorités sportives, les clubs et le ministère de l’intérieur. La DNLH, dirigée par le commissaire Boutonnet, devient la courroie de transmission du ministère de l’intérieur.
Quelle est la stratégie ?
L’accent est mis sur la répression et la tolérance zéro. Ce qui est d’autant plus facile que les supporteurs ont une image très discréditée après la mort de deux d’entre eux à la suite d’affrontements en 2006 et 2010. (Yann Lorence, de la tribune parisienne Boulogne, est mort en mars 2010 après avoir été roué de coups par d’autres fans du Paris Saint-Germain, de la tribune Auteuil. En novembre 2006, Julien Quemener, lui aussi fan du PSG, avait été tué par un policier qui tentait de protéger un supporter d’un club israélien poursuivi par plusieurs fans parisiens - ndlr.) Depuis son arrivée, le ministre de l’intérieur socialiste Manuel Valls n’a fait que renforcer cette politique, avec notamment une multiplication des arrêtés préfectoraux interdisant ou limitant les déplacements des supporteurs lors des matchs. La ministre des sports a très peu d’espace politique sur ce sujet, qui fait consensus à droite comme à gauche, et où il n’y a que des coups à prendre en proposant une autre politique associant prévention et répression. Le gouvernement peut se permettre d’aller au bout de la logique sécuritaire par rapport aux supporteurs de foot, car ils n’arrivent pas à s’organiser nationalement et n’ont pas de relais médiatiques Le hooliganisme dans l’esprit du grand public, ce sont les violences liées au football. Mais la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) se préoccupe aussi beaucoup de gens qui boivent de l’alcool, fument du cannabis, critiquent le PSG sur leurs banderoles ou amènent des fumigènes au stade. On utilise donc le mot de hooliganisme et les mêmes sanctions administratives pour punir des faits sans commune mesure. Ce qui crée l’illusion d’un continuum entre ces faits. Il faut aussi différencier les hooligans, qui sont des bandes violentes structurées, des ultras, qui sont plus ambivalents. Les groupes ultras sont dans une logique d’opposition, qui du fait des tensions actuelles avec les policiers, peut vite passer à la violence. Ils sont d’abord là pour le foot, mais peuvent aussi se battre. Il serait opportun de gérer différemment ces deux types de groupes.
Quel est le bilan, depuis 2009, de cette politique ?
Côté positif, la France a aujourd’hui une politique cohérente qui a permis de limiter la violence aux abords des stades. Avec tout l’arsenal sécuritaire, la vidéosurveillance, les compagnies de sécurité privées et le dispositif policier, les stades sont aujourd’hui plus sûrs. Il ne faut pas minimiser la violence et le racisme qui existaient auparavant. Mais cette politique a des effets pervers. N’est-on pas en train de créer une cocotte-minute en exerçant une pression de plus en plus forte sur les supporteurs ? On a vu ce qui s’est passé au Trocadéro. À Montpellier, en 2012, un ultra a perdu un oeil suite à un tir de flashball d’un policier. La politique est de harceler les supporteurs avec les sections d'intervention rapide (SIR), des forces spéciales en survêtement, qui interviennent très vite dans les stades. Deuxièmement, peut-on accepter des méthodes aussi radicales et peu respectueuses des libertés publiques ? Troisième question, plus parisienne, est-ce le rôle du ministère de l’intérieur de soutenir la volonté d’un club de changer de public ? Le ministère traite-t-il de graves problèmes d’ordre public, auquel cas il n’y a rien à dire, ou est-il au service d’intérêts privés ?
Le risque n’est-il pas de déplacer la violence hors des stades, comme on l’a vu au Trocadéro ?
La récente campagne de la Ligue de football professionnel « Sortons la violence du stade » est assez révélatrice. La gestion du “supportérisme” en France consiste essentiellement à tenter d’éradiquer la violence du football en chassant les hooligans hors des stades. On se moque de déplacer la violence ailleurs ou de radicaliser certains. Or le foot n’est pas un îlot coupé de la société. Il n’y a aucune réflexion globale, on ne pense pas aux conséquences sur la société. À Paris, certaines violences se sont déplacées dans la sphère politique.
Lors des manifestations contre le mariage pour tous par exemple ?
Oui, certains durs de Boulogne ont accru leur investissement dans les groupes d'extrême droite. Entre autres, mais pas seulement, dans les manifestations contre le mariage pour tous. Des groupes qui s'affrontaient autour du Parc s'opposent désormais dans la rue ou lors de manifs politiques. Ça ne concerne que quelques dizaines de personnes sur l'ensemble des supporteurs précédemment en conflit, mais ce n'est pas neutre. Une bonne partie du groupe de Clément Méric (un militant du groupe “Action Antifasciste Paris Banlieue” qui a été battu à mort par des skinheads le 5 juin 2013 - ndlr) sont des anciens du virage Auteuil.
Et concernant le PSG, qui a connu des rivalités et des affrontements meurtriers entre deux kops ? Quel est le bilan du plan Leproux ?
Le plan Leproux combine l’action des pouvoirs publics, avec notamment la dissolution de cinq groupes de supporteurs parisiens (trois associations ultras et deux bandes de hooligans), et du club, avec comme mesure phare le placement aléatoire dans les tribunes situées derrière les buts. Au printemps 2010, ce plan était tout à fait justifié pour faire cesser les tensions entre les tribunes d’Auteuil et de Boulogne. La situation était extrêmement malsaine. Mais ça a été une erreur de mettre tous les occupants d’Auteuil et de Boulogne dans le même sac, alors que seule une minorité de supporteurs était concernée par les violences. Et si on voulait recommencer à zéro pour repartir sur de nouvelles bases, il aurait également fallu changer les responsables de ce dossier du côté du PSG afin que tout le monde (les supporteurs mais aussi le club) assume ses erreurs. De plus, alors que les mesures devaient être provisoires, le dialogue n’a jamais été rétabli. Ni le club, ni les anciennes associations ne se sont donné les moyens de reconstruire autre chose. D’ailleurs, le plan a été un échec commercial au départ, avec un stade vide en 2010-2011. Le PSG a été sauvé par l’arrivée des Qataris dont l’argent a permis d’attirer des stars pour remplir le stade puis d’augmenter le prix des places. L’abonnement premier prix est passé d’à peu près 250 euros en 2010 à environ 400 euros aujourd’hui. Le PSG s’est aligné sur la politique du Royaume-Uni, en remplaçant les groupes de supporteurs, difficiles à gérer, par des clients individuels. Pour les responsables du club, les ultras c’est fini. Ils considèrent que cette période est derrière eux. Quitte à utiliser des méthodes qui posent question, comme la création, mise en évidence par la Cnil, d’une liste de supporteurs indésirables, indépendamment de toute condamnation administrative ou judiciaire. Mais certains de ces ultras ne veulent pas disparaître et continuent à faire des coups d’éclat comme au Trocadéro. C’est ce conflit latent qui a explosé au visage du club ce soir-là et sur lequel ont embrayé des jeunes extérieurs à ce conflit, qu’on a qualifiés commodément de « casseurs ». Le club a voulu produire pour le monde entier de belles images devant la tour Eiffel, quitte à prendre des risques dans le déroulement des événements sur le sol parisien.

(Médiapart)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.