Le club de foot anglais, Aldershot Town, peut sembler à des
années-lumière du glamour de Chelsea FC, mais pour la tribu des fans
irréductibles qui en ont fait leur seconde famille, la loyauté ne
s'achète pas avec des milliards ou des trophées.
Agitant fièrement
d'immenses drapeaux derrière les buts, les supporters des "Shots"
parlent de loyauté à une famille, pas à une marque.
"Ici, il n'a
jamais été question d'argenterie", comprenez des trophées, "c'est de
passion qu'il s'agit", tranche Ben Blundell à la mi-temps d'un match
contre les ennemis jurés de Woking, rendez-vous majeur de la saison. Les
deux clubs ont beau évoluer en cinquième division, la ferveur est à son
comble.
Les "Supras", fidèles parmi les fidèles, se retrouvent dans la tribune Est du stade, pour 90 minutes de clameurs et huées.
"Je
me sens en symbiose avec le club. Je fais partie d'une famille",
explique Ben. Gabarit généreux, bras dynamique, il est, avec ses copains
appelés "Rock'n'Roll Steve" et "Elvis", préposé à la grosse caisse pour
donner le rythme aux "Supras".
"Tout le monde se connaît. Les
gens trinquent dans les mêmes pubs, occupent toujours la même place dans
les gradins: au fil du temps, ça forme un gang", souligne l'entraîneur,
Andy Scott.
Un drame qui touche un membre de cette communauté est ressenti par tous.
Lorsque
Steve Chapman, 33 ans, un vétéran de la guerre du Golfe, s'est suicidé
peu après Noël 2011, il a été honoré par une minute de silence avant un
match. Ses camarades ont chanté "Il n'y a qu'un Steve Chapman", un
honneur généralement réservé aux joueurs vedettes.
Un mémorial entretient encore son souvenir dans le petit jardin, bien entretenu, qui garde la mémoire des Shots disparus.
Comme
les disquaires décimés par les géants de l'internet, les clubs de foot
locaux sont menacés par la mondialisation et la concurrence des grands
noms de première division mondialement connus, comme Chelsea, Arsenal ou
Manchester United. Là, les stades sont des palais, les joueurs des
icônes et l'argent coule à flot.
Au moins sept clubs de foot
anglais ont été placés sous administration judiciaire ou en liquidation
ces cinq dernières années. Aldershot Town a été sauvé de la faillite
l'an dernier par un homme d'affaires Shahid Azeem, qui a fait fortune
dans l'informatique.
"Ici tout tourne autour du club de foot", explique le président Shahid Azeem.
Comme dans les microbrasseries ou les clubs de tricot, une nouvelle génération redécouvre les joies de la communauté locale autour d'un goût partagé.
"Ici
je peux taper la discut' avec mon avant-centre préféré quand je veux. A
Chelsea, je ne pourrais même pas serrer la main de Didier Drogba", la
star ivoirienne, confirme Ben Blundell.
Les joueurs, des
semi-professionnels pour la plupart, on les retrouve notamment au Crimea
Inn, le pub planté juste en face du stade, où les supporters aiment
s'échauffer avant les matches des "Schots".
Alfie Caudwell, 15 ans
seulement, est déjà mordu. "L'ambiance est géniale. J'ai déjà été à
Stamford Bridge (le stade du Chelsea FC à Londres) et je trouve qu'on ne
chante pas beaucoup là-bas", dit-il.
Vieux de 85 ans, Recreation
Ground, dit "The Rec", le stade de 7.100 places dans la périphérie ouest
de la capitale, ne fait pas forcément rêver avec ses petits gradins en
béton gris, son toit en tôle ondulée et ses pylônes d'un autre âge.
Seule
la pelouse est magnifique: elle sert de terrain aux matches des équipes
de jeunes de Chelsea, permettant de renflouer le club.
Mais pour
les supporters, venir au stade devient un acte militant, un mélange de
passion et de sens quasi civique. Le billet le moins cher affiche 17
livres (21 euros), une somme qui n'est pas négligeable si loin des
sommets de la Premier League.
A Aldershot, le fan indispensable
pour l'économie du club, qui dépend énormément de la billetterie. "Notre
soutien fait une vraie différence. L'argent qu'on laisse en passant le
tourniquet permet directement d'acheter des joueurs", sait Martin
Choularton, un autre supporter endurci.
L'unité quasi tribale est
cimentée par la même haine pour tout club qui affronte les Shots, en
particulier les rivaux voisins comme, cette semaine-là, Woking.
Chaque
derby donne inévitablement lieu à des étincelles et les insultes fusent
de part et d'autre du "no-man's land" qui sépare les deux factions dans
le stade. Lorsque Woking marque le seul but de la rencontre, un
supporter d'Aldershot tente de franchir cette "zone démilitarisée" pour
partir se "venger". Mais il est intercepté par des stadiers vigilants et
expulsé.
"Les supporters ont besoin d'un rival qu'ils détestent.
Cela contribue à renforcer le lien qu'ils ont avec leur propre équipe",
explique Geoff Pearson, expert en comportement des foules.
(AFP)
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