vendredi 10 octobre 2014

Fan de foot en cinquième division anglaise: la loyauté plutôt que le "bling-bling"

Le club de foot anglais, Aldershot Town, peut sembler à des années-lumière du glamour de Chelsea FC, mais pour la tribu des fans irréductibles qui en ont fait leur seconde famille, la loyauté ne s'achète pas avec des milliards ou des trophées.

Agitant fièrement d'immenses drapeaux derrière les buts, les supporters des "Shots" parlent de loyauté à une famille, pas à une marque.
"Ici, il n'a jamais été question d'argenterie", comprenez des trophées, "c'est de passion qu'il s'agit", tranche Ben Blundell à la mi-temps d'un match contre les ennemis jurés de Woking, rendez-vous majeur de la saison. Les deux clubs ont beau évoluer en cinquième division, la ferveur est à son comble.
Les "Supras", fidèles parmi les fidèles, se retrouvent dans la tribune Est du stade, pour 90 minutes de clameurs et huées.
"Je me sens en symbiose avec le club. Je fais partie d'une famille", explique Ben. Gabarit généreux, bras dynamique, il est, avec ses copains appelés "Rock'n'Roll Steve" et "Elvis", préposé à la grosse caisse pour donner le rythme aux "Supras".
"Tout le monde se connaît. Les gens trinquent dans les mêmes pubs, occupent toujours la même place dans les gradins: au fil du temps, ça forme un gang", souligne l'entraîneur, Andy Scott.
Un drame qui touche un membre de cette communauté est ressenti par tous.
Lorsque Steve Chapman, 33 ans, un vétéran de la guerre du Golfe, s'est suicidé peu après Noël 2011, il a été honoré par une minute de silence avant un match. Ses camarades ont chanté "Il n'y a qu'un Steve Chapman", un honneur généralement réservé aux joueurs vedettes.
Un mémorial entretient encore son souvenir dans le petit jardin, bien entretenu, qui garde la mémoire des Shots disparus.
Comme les disquaires décimés par les géants de l'internet, les clubs de foot locaux sont menacés par la mondialisation et la concurrence des grands noms de première division mondialement connus, comme Chelsea, Arsenal ou Manchester United. Là, les stades sont des palais, les joueurs des icônes et l'argent coule à flot.
Au moins sept clubs de foot anglais ont été placés sous administration judiciaire ou en liquidation ces cinq dernières années. Aldershot Town a été sauvé de la faillite l'an dernier par un homme d'affaires Shahid Azeem, qui a fait fortune dans l'informatique.
"Ici tout tourne autour du club de foot", explique le président Shahid Azeem.
Comme dans les microbrasseries ou les clubs de tricot, une nouvelle génération redécouvre les joies de la communauté locale autour d'un goût partagé.
"Ici je peux taper la discut' avec mon avant-centre préféré quand je veux. A Chelsea, je ne pourrais même pas serrer la main de Didier Drogba", la star ivoirienne, confirme Ben Blundell.
Les joueurs, des semi-professionnels pour la plupart, on les retrouve notamment au Crimea Inn, le pub planté juste en face du stade, où les supporters aiment s'échauffer avant les matches des "Schots".
Alfie Caudwell, 15 ans seulement, est déjà mordu. "L'ambiance est géniale. J'ai déjà été à Stamford Bridge (le stade du Chelsea FC à Londres) et je trouve qu'on ne chante pas beaucoup là-bas", dit-il.
Vieux de 85 ans, Recreation Ground, dit "The Rec", le stade de 7.100 places dans la périphérie ouest de la capitale, ne fait pas forcément rêver avec ses petits gradins en béton gris, son toit en tôle ondulée et ses pylônes d'un autre âge.
Seule la pelouse est magnifique: elle sert de terrain aux matches des équipes de jeunes de Chelsea, permettant de renflouer le club.
Mais pour les supporters, venir au stade devient un acte militant, un mélange de passion et de sens quasi civique. Le billet le moins cher affiche 17 livres (21 euros), une somme qui n'est pas négligeable si loin des sommets de la Premier League.
A Aldershot, le fan indispensable pour l'économie du club, qui dépend énormément de la billetterie. "Notre soutien fait une vraie différence. L'argent qu'on laisse en passant le tourniquet permet directement d'acheter des joueurs", sait Martin Choularton, un autre supporter endurci.
L'unité quasi tribale est cimentée par la même haine pour tout club qui affronte les Shots, en particulier les rivaux voisins comme, cette semaine-là, Woking.
Chaque derby donne inévitablement lieu à des étincelles et les insultes fusent de part et d'autre du "no-man's land" qui sépare les deux factions dans le stade. Lorsque Woking marque le seul but de la rencontre, un supporter d'Aldershot tente de franchir cette "zone démilitarisée" pour partir se "venger". Mais il est intercepté par des stadiers vigilants et expulsé.
"Les supporters ont besoin d'un rival qu'ils détestent. Cela contribue à renforcer le lien qu'ils ont avec leur propre équipe", explique Geoff Pearson, expert en comportement des foules.

(AFP)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.