Le lucratif contrat entre Canal + et la Ligue nationale de rugby
(LNR) sur les droits du Top 14 aura fait long feu puisque la justice a
confirmé jeudi en appel sa suspension et ordonné la tenue d'un nouvel
appel d'offres.
La bataille était donc loin du terme: après des
mois tumultueux au coeur de l'hiver 2013-2014, puis un accord historique
de 355 millions d'euros sur cinq saisons entre 2014 et 2019, la guerre
beIN Sports - Canal + sur les droits du Championnat de France de rugby
est relancée. Avec au milieu de la ligne de front un dossier vital pour
l'économie du rugby professionnel français.
Au final, la cour
d'appel de Paris a donné raison en quasiment tous points à l'Autorité de
la concurrence qui, saisie par beIN Sports, avait fait tomber la foudre
sur ce contrat en estimant le 30 juillet qu'il était "susceptible
d'être qualifié d'entente anticoncurrentielle" dans une décision
abondamment motivée sur 55 pages.
Seule concession qu'aura
arrachée la LNR parmi les recours formulés: la nouvelle procédure
d'attribution des droits de son produit-phare devra se faire avant le 31
mars 2015. Soit deux mois de répit pour peaufiner l'appel d'offres par
rapport à ce qu'avait demandé l'Autorité de la concurrence.
"La
LNR va désormais examiner les suites à donner à cet arrêt, qui reste
susceptible de pourvoi devant la Cour de cassation, et prendre toutes
les mesures nécessaires pour optimiser la valorisation et l'exposition
du Top 14 pour les futures saisons", a sobrement réagi l'instance dans
un communiqué jeudi soir.
Pour le reste, l'arrêt de la cour
d'appel est tranchant et épingle les méthodes employées par Canal + et
la Ligue lors de la conclusion du contrat.
La LNR, profitant
d'une clause dans son contrat signé avec Canal + en 2011, avait en effet
provoqué un appel d'offres anticipé à l'automne 2013, soit deux ans
avant l'échéance.
BeIN et Canal+ avaient alors manifesté leur intérêt. Mais la
Ligue avait "brusquement interrompu la procédure (...) pour reprendre
les négociations" bilatérales avec Canal + et "négocier dans le secret
un nouvel accord", rappelle la juridiction. Une pratique "susceptible de
caractériser un objet anticoncurrentiel", ajoute-t-elle.
En
filigrane, la Ligue est soupçonnée d'avoir utilisé l'émergence de beIN
Sports pour faire levier sur Canal +. Avec un certain succès, puisque le
Top 14 se vend désormais 71 millions d'euros en moyenne par saison,
contre 31,7 millions d'euros dans l'accord précédent.
La chaîne
cryptée est de son côté accusée "d'abus de position dominante" pour
avoir tenté de verrouiller un championnat attractif qu'elle diffuse
depuis vingt ans.
L'audience tenue le 4 septembre avait cependant
souligné la fragilité des arguments de la LNR et Canal+ face à ceux de
l'Autorité de la concurrence et de beIN Sports.
"La Ligue a fui
et trompé beIN sur ses intentions", avait lancé Marie-Cécile Rameau,
avocate de la chaîne qatarie, fustigeant au passage "la stratégie
d'intimidation judiciaire" menée par Canal +, qui avait menacé
d'attaquer la LNR et avait envoyé des huissiers avenue de Villiers à
Paris, au siège de l'instance.
L'arrêt de la cour d'appel de Paris acte aussi clairement le
passage des droits du Top 14 dans une nouvelle dimension: ils sont
désormais étiquetés "premium", aux cotés de la Ligue 1, comme le
soutient l'Autorité de la concurrence dans sa décision du 30 juillet. Ce
qui nécessite de se conformer scrupuleusement aux règles de la
concurrence et exclut les négociations de gré à gré comme celles qui ont
pu amener à la conclusion de l'accord de janvier.
"La LNR prend
acte de l'analyse entièrement nouvelle ainsi retenue par l'Autorité de
la concurrence et la cour d'appel et regrette qu'elle ait en pratique
des effets rétroactifs sur l'accord entre la LNR et Canal+", répond
toutefois la Ligue.
La nouvelle procédure d'attribution des droits
TV à partir de la saison 2015-2016 devra donc être "transparente, non
discriminatoire et pour une durée qui ne soit pas disproportionnée",
indique ainsi la cour d'appel.
Aux diffuseurs désormais de fourbir
de nouveau leurs armes. Et celles-ci sont encore fumantes: beIN Sports a
ainsi raflé en septembre l'intégralité des droits de retransmission des
Coupes d'Europe de rugby, auparavant diffusées en partie par Canal +.
Pour
la Ligue, cette décision fait planer de l'incertitude sur les prochains
exercices. Mais il paraît bien peu probable que l'enveloppe qu'elle
recevra du prochain appel d'offres soit moins épaisse que l'actuelle.
(AFP)
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