Vivier de pépites du ballon rond, l'Amérique latine a pris l'habitude
de découper les droits des joueurs entre plusieurs propriétaires, dont
des fonds d'investissement, une pratique qui peut nuire aux footballeurs
et que veut interdire la Fifa.
Au Brésil, près de 90% des joueurs de première division sont "divisés" entre différents propriétaires, selon le consultant KPMG.
De
quoi alimenter la spéculation dans un mercato déjà bouillonnant: entre
2011 et juillet 2014, la patrie de Ronaldo "O Fenomeno" a été le théâtre
du plus grand nombre de transferts au monde (5.526), suivie de
l'Argentine avec 2.632 opérations.
Les deux pays s'illustrent par
leur capacité à fournir de futures stars aux championnats européens,
mais aussi par leur litanie de clubs surendettés.
"Il n'y a jamais
eu autant d'argent dans le football brésilien (mais) les clubs sont
très endettés", indique Eduardo Carlezzo, avocat spécialisé en droit
sportif, interrogé par l'AFP à Sao Paulo.
"C'est cette situation
économique qui fait que les clubs ont besoin d'investisseurs pour
recruter" et font ainsi appel à des fonds d'investissement pour partager
l'achat d'un joueur. C'était le cas du Colombien Falcao ou du Brésilien
Neymar, qui, lors de leur rachat par des clubs européens, comptaient un
pourcentage de leurs droits aux mains d'un ou plusieurs fonds.
Ils vont pourtant devoir apprendre à vivre sans: le 26 septembre, le comité exécutif de la Fifa a pris "la décision ferme" d'interdire la propriété
de joueurs par des tiers (autres que les clubs), une pratique déjà
bannie en France et en Angleterre.
"Cela ne peut pas être fait
dans l'immédiat mais il y aura une période de transition pour faire
appliquer cette interdiction", a expliqué son président Joseph Blatter.
Michel
Platini, président de l'UEFA, s'en est dit "très heureux pour le
football", rappelant avoir "constamment alerté pendant des années sur
cette pratique qui s'est répandue et est un danger pour notre sport":
"Cela menace l'intégrité de nos compétitions, dégrade l'image du foot,
représente une menace à long terme pour les finances des clubs et pose
question concernant la dignité humaine".
"L'annonce de la Fifa vise à éliminer les vautours du football",
estime l'expert paraguayen Alberto Candia, qui gère des transferts
internationaux de joueurs.
Pour Me Carlezzo, "dans un premier
temps, l'impact va être assez fort et négatif pour les clubs brésiliens"
mais "à moyen et long terme, ce sera positif de récupérer 100% des
droits des joueurs".
En Argentine, la mesure "va empêcher les
clubs de pouvoir acheter un joueur avec l'investissement de groupes"
mais ces derniers pourront toujours contribuer financièrement, sans
devenir propriétaires, note Roberto Tesone, représentant de joueurs et
ex-dirigeant du club Argentinos Juniors, d'où sont sortis Diego Maradona
ou Fernando Redondo.
Elle devrait faire le ménage parmi la
multiplicité des propriétaires, facteur d'opacité dans ce marché: la
justice argentine enquête actuellement sur une possible évasion fiscale
dans les transferts de 444 footballeurs dont les stars Sergio "Kun"
Agüero (Manchester City) et Javier Mascherano (FC Barcelone).
Cette
multipropriété fragilise en outre les joueurs, qui "ne répondent plus à
leurs clubs, mais à des +néo-patrons+ à qui ils doivent obéir, et
certains de ces patrons gèrent les clubs sportifs comme leur résidence
particulière", selon Alberto Candia.
Beaucoup de ces entrepreneurs
soumettent le joueur "à un véritable régime d'esclavage, car ils
affirment que, comme ils ont un droit sur le footballeur, ils peuvent
décider de son avenir", renchérit Carlos Soto, président du syndicat de
footballeurs professionnels du Chili.
Contre une promesse d'argent
et de gloire, ces jeunes espoirs se retrouvent parfois pris au piège
dans un enchevêtrement d'agents, qui les placent puis les sortent de
clubs comme une simple marchandise, quand ils ne les abandonnent pas
dans des pays lointains.
Le Colombien Jackzon Ibargüen, 29 ans, en
sait quelque chose: joueur de la sélection nationale des moins de 20
ans en 2004, il a été envoyé par son "patron" pour jouer en Bosnie entre
2008 et 2013. Pendant tout ce temps, il n'a pas été payé et a été
empêché de jouer ailleurs.
Le footballeur doit avoir "la liberté
de négocier, de parler directement avec les dirigeants ou le club",
témoigne-t-il. La décision de la Fifa "me semble bonne, si le joueur a
un droit sur lui-même".
(AFP)
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