Le Sénégalais Ibrahim Faye ignorait "qu'il y avait deux Chypres"
lorsqu'il a débarqué sur l'île. Aujourd'hui, il joue dans le minuscule
championnat de Chypre-nord, totalement coupé du monde et à des
années-lumière de la Ligue des champions qui enflamme la partie sud.
Si
les clubs de la République de Chypre peuvent se frotter aux grands
d'Europe, à l'instar d'APOEL qui affronte mercredi le PSG et va recevoir
en novembre le prestigieux Barça, ceux de la République turque de
Chypre du Nord (RTCN) sont confinés dans une bande de 180 km de long sur
35 km de large.
La RTCN a été autoproclamée en 1983, neuf ans
après l'invasion du nord de Chypre par la Turquie en réaction à un coup
d'Etat de nationalistes chypriotes grecs qui voulaient rattacher l'île à
la Grèce. Depuis, l'île et sa principale ville, Nicosie, sont divisées entre les deux parties. Au niveau international, la RTCN n'est reconnue que par Ankara.
En
conséquence, les associations sportives ne sont pas membres des
Fédérations internationales et ne peuvent pas affronter d'équipe
étrangère, même en amical.
En quittant le Sénégal il y a sept ans,
Ibrahim Faye voulait partir en Turquie mais son agent l'a fait signer à
Chypre-nord, à Nicosie. Il évolue à Çetinkaya, club le plus titré de
RTCN, où la "Super League" compte 14 équipes. Seuls quelques joueurs
étrangers, comme Faye, y sont professionnels.
"Ici c'est pas mal, pour le début c'est bien, mais si tu as un
bon manager tu peux aller chercher ailleurs", raconte le défenseur
sénégalais qui, même à 29 ans, espère toujours partir pour un club plus
prestigieux.
Son coéquipier Mehmet Simsek partage ses envies
d'ailleurs. "Je veux jouer contre d'autres équipes, martèle l'arrière
gauche de 23 ans. J'aimerais accumuler de l'expérience et gagner plus
d'argent, mais c'est impossible".
Pour les Chypriotes-turcs comme
Simsek, les meilleurs salaires atteignent 1500 livres turques (environ
500 euros) par mois. Tous ont un métier en dehors du football.
Plus
que les salaires, explique le coach du Çetinkaya Erol Çagaloglu, c'est
l'absence de défi international qui empêche les joueurs d'améliorer leur
niveau: "Nos jeunes ne peuvent pas progresser. Nous jouons seulement à
un niveau amateur".
Tout en dirigeant ses joueurs d'une voix
ferme, dos droit et bras croisés, cette ancienne star du club, recruté
un moment par la célèbre équipe stambouliote du Besiktas, regrette que
"les jeunes du nord et du sud ne puissent pas se réunir et se
rencontrer".
Ce confinement a poussé les clubs à chercher la
réunification avec la Fédération de la République de Chypre, affiliée,
elle, à la Fifa et à l'UEFA.
En novembre 2013, un semblant d'espoir est né d'un accord de
rapprochement signé sous l'égide de la Fifa, mais les détails n'en
avaient pas été révélés. Depuis, aucune avancée notable.
Sur le
plan sportif, une Fédération chypriote unique serait un casse-tête car
le championnat de première division ne pourrait pas accueillir tous les
clubs des deux camps et rendrait encore plus chers les rares tickets
d'entrée dans les compétitions européennes.
Pour Hasan Sertoglu,
président de la Fédération de football turque de Chypre, la balle est
dans le camp du Sud. "Nous avons fait ce qui nous était demandé.
Maintenant, il faut qu'ils réagissent, qu'ils aient de la pitié pour ces
jeunes".
Mais la réunification des Fédérations passe aussi par
une paix relative entre les supporters chypriotes-grecs et
chypriotes-turcs, loin d'être acquise. Fin septembre, Demetris
Vassiliou, un chypriote-grec de 35 ans, s'est engagé pour la première
fois depuis 59 ans avec un club du Nord, provoquant des réactions
outrées au Sud. Il a même assuré avoir reçu des menaces de mort.
Cela
désole M. Sertoglu, qui estime que le football devrait permettre à
Chypre de faire un pas vers la réunification: "Les problèmes politiques
n'intéressent que les politiciens. Nous, nous ne sommes que des
sportifs".
(AFP)
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