mercredi 17 février 2016

En matière d'équipements sportifs, l'innovation reste un objectif lointain

"J'ai mis au milieu le club-house, le lieu de vie qui correspond au point marquant du déficit de nos équipements sportifs actuels. L'équipement est connecté au milieu urbain, aux circuits sur lesquels on court, on fait du vélo, les coulées vertes. L'extérieur commence par un parvis actif, où l'on s'adonne à des pratiques ouvertes et libres, et j'y ai mis un amphithéâtre pour la dimension spectaculaire. Et dans cette agora centrale, il faut d'autres services. J'y ai mis une crèche selon l'idée qu'elle est nécessaire pour développer la pratique des femmes. Avant d'arriver aux salles de sport, il faut créer un préau sportif ouvert aux pratiquants auto-organisés ou encadrés. On a ensuite les salles de sport, aires de pratique et non alpha et oméga du concept. Cela peut fonctionner à la fois pour les clubs et les écoles tout en étant ouvert à la diversité des pratiquants." Ne cherchez pas sur l'atlas des équipements sportifs ce complexe, vous ne le trouverez pas. Cet équipement sportif "idéal" n'existe pas en dehors de l'esprit de Gérard Baslé, programmiste du sport et consultant au cabinet ISC. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que nous ne sommes pas près de voir un tel projet sortir de terre.
Le projet de Gérard Baslé a été présenté, en guise d'illustration conceptuelle, au public venu assister, mardi 16 février, à une conférence intitulée "Equipements sportifs en ville : pourquoi et comment innover ?", organisée par l'IAU (Institut d'aménagement et d'urbanisme) d'Ile-de-France et l'IRDS (Institut régional de développement du sport) d'Ile-de-France. Et si nous pouvons affirmer aujourd'hui que ce concept ne verra pas le jour avant longtemps, c'est parce que les débats ont mis en lumière les difficultés à faire émerger l'innovation en matière d'équipements sportifs.

"On se borne à répondre à la demande de la collectivité"

Devant un parterre fourni, composé en bonne partie de responsables des sports de collectivités territoriales, la directrice générale de l'IAU, Valérie Mancret-Taylor, a d'abord posé quelques jalons, rappelant par exemple que "faire un équipement sportif ne consiste pas seulement à trouver de l'argent pour le réaliser, mais aussi à avoir les moyens de le faire fonctionner". De son côté, Claire Peuvergne a pointé un problème central : celui de pratiques sportives de plus en plus diverses alors que les modèles d'équipements ont peu évolué depuis les années 1960. La directrice de l'IRDS a ensuite anticipé l'équipement idéal de Gérard Baslé en évoquant ces "43% de mères qui, accompagnant leur enfant au sport, souhaiteraient avoir une offre d'activité en parallèle".
Mais très vite, les limites de l'innovation en matière d'équipements sportifs sont apparues. Jean-Sébastien Soulé, directeur du CAUE 92 (Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement des Hauts-de-Seine), a pointé du doigt le point crucial qui explique ce manque d'innovation : "On se borne à répondre à la demande de la collectivité." Sur ce thème, Jodelle Zetlaoui, docteur en urbanisme et aménagement de l'espace, avance plusieurs explications. D'une part, elle met en cause la fameuse "grille Dupont" des années 1950 – qui a défini les normes et ratios d'équipements –, objet de "fascination" pour les professionnels de l'urbanisme, selon la chercheuse. D'autre part, si Jodelle Zetlaoui loue la prise en compte des préoccupations de développement urbain avec l'émergence des villes nouvelles, elle déplore l'échec des équipements intégrés, minés par des problèmes de gestion car relevant d'administrations différentes.
Les contingences politiques au sens large, voilà un autre point de blocage dans l'innovation mis en exergue par Gérard Baslé. "Les élus ont une idée du projet qui va du rêve à l'autocensure", résume le consultant, avant de détailler : "Avec les nouvelles modalités de financement, le processus de décision est devenu beaucoup plus complexe. De plus, les cofinancements influencent les projets, car chacun veut mettre en avant ses propres enjeux dans l'équipement. Enfin, il y a un problème de délais dans le cadre d'un mandat électoral. Quand on arrive sur un projet, on a quatre ans pour couper le ruban. On est de plus en plus dans l'urgence."

La programmation, oui mais…

Pour Jodelle Zetlaoui comme pour Gérard Baslé, l'innovation dans les équipements sportifs est possible, à condition de passer par la case "programmation", une phase largement délaissée. "Les étudiants en architecture n'y sont pas sensibilisés, quant aux maîtres d'ouvrage, ils l'utilisent peu et mal. Ils pensent qu'il suffit d'appliquer les normes pour être sauvés", constate Jodelle Zetlaoui. Pourtant, selon l'experte, la programmation revêt "une importance dans la gestion à terme des équipements". Quant à un outil comme la planification, il est tout aussi inopérant dès lors que l'on passe d'une vision macro à une vision micro. "Il existe une difficulté à mettre en cohérence des schémas directeurs d'équipements avec des opérations locales", constate Jodelle Zetlaoui.
Autre piste d'innovation possible dans les équipements sportifs : la participation des habitants. "Le schéma à mettre en œuvre est la coproduction avec les habitants. Cela apporte de l'innovation et une meilleure gestion du projet. Pour les élus, la participation citoyenne est même un moyen de faire pression sur les promoteurs", rapporte Jodelle Zetlaoui. Mais là encore, les obstacles demeurent. D'une manière générale, Gérard Baslé remarque que "la rencontre avec certains acteurs est très dangereuse car ceux-ci vont demander beaucoup plus que ce qui était prévu". Et Jodelle Zetlaoui d'illustrer cette difficulté par un exemple vécu à Rennes, "où les architectes ne voulaient pas entendre parler des usagers, et où les élus étaient absents". Et si, avant tout, l'innovation était un sport d'équipe ?
 
 
(Localtis)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.