mardi 7 juin 2016

Euro 2016 - Comment naissent les éléphants blancs ? (chapitre 2 - La télévision change la donne)


Copyright JDLesay
Après la seconde guerre mondiale, la Coupe du monde de football reprit au Brésil, hôte de l'édition de 1950. Trois des six stades de la compétition préexistaient et l'événement fut l'occasion de mettre en chantier trois nouvelles enceintes – dont le mythique Maracanã.
L'organisation de la Coupe du monde servit alors de prétexte à des constructions jugées nécessaires pour le développement du football. Et si le Brésil avait du retard en la matière, ce fut moins le cas de la Suisse, qui en 1954 accueillit la Coupe du monde en ne construisant qu'un seul nouveau stade. Même constat quatre ans plus tard en Suède. Cette fois le nombre de stades doubla – passant de six à douze – mais on se servit de l'existant pour onze des enceintes retenues. La même logique prévalut en 1962 au Chili (une construction neuve pour quatre stades) et en 1966 en Angleterre. Dans ce dernier cas, la situation fut plus édifiante encore : sur les huit stades de la compétition, le plus récent, Wembley, avait été achevé en 1923, et quatre d'entre eux dataient de la fin du XIXe siècle !
En termes de stades, le tournant se situe en 1974. Quatre ans plus tôt, le Mexique avait surfé sur le succès des Jeux olympiques de 1968 pour présenter au monde du football plusieurs stades de grande capacité flambant neuf. En Allemagne, le doublé dans l'organisation des Jeux olympiques de Munich 1972 puis de la Coupe du monde 1974 accentua le tournant vers un programme de constructions/rénovations d'envergure. A Düsseldorf, Hanovre, Stuttgart et Francfort, les vieilles enceintes firent l'objet d'importantes rénovations. A Munich et Dortmund, le Stade olympique et le Westfalenstadion sortirent de terre.
Qu'est-ce qui avait changé entre les années 1960 et les années 1970 ? Le football était tout simplement devenu une marchandise de premier plan dans la société du spectacle qui achevait de mettre en place quelques-uns de ses fondements les plus solides, parmi lesquels la télévision.
Si en 1954 la télévision suisse avait demandé à la Fifa une participation financière pour produire les images de la première Coupe du monde télévisée, vingt ans plus tard, les foyers des pays occidentaux étaient largement équipés en téléviseurs et la couleur s'était répandue sur les écrans. Le rapport de force avait changé : la télévision étaient désormais demandeuse de retransmissions et la Fifa commença à regarder sa création comme un produit à placer. Et bien entendu, cette nouvelle demande poussait la Fifa à emballer son produit dans le plus bel écrin.
"En gagnant les foyers, la télévision fit du sport un spectacle mondial et une culture de masse en même temps qu'elle attira, à une échelle entièrement nouvelle, des capitaux dans le sport et influa sur les techniques et les règles sportives elles-mêmes", écrivait Frédérique Bredin, alors ministre des Sports, en 1992[1]. (Au-delà des normes des enceintes, qui sont l'objet de notre analyse, notons que c'est à partir des années 1980 – et précisément pour la Coupe du monde 1986 au Mexique – que la télévision imposa des horaires notoirement antiphysiologiques en faisant jouer des matchs à midi sous un soleil de plomb. Le but ? Offrir des retransmissions en direct à l'heure où les téléspectateurs européens, qui constituent le plus lucratif marché pour le football, sont de retour dans leurs foyers et peuvent enfin s'ouvrir une canette de bière fraîche devant un bon match.) A propos des rapports entre la Fifa et la télévision, Michel Platini a admirablement résumé la situation dans une entrevue accordée au Monde du 19 octobre 2015 : "La télévision a amené l’argent et l’argent a amené des gens qui aiment l’argent."
Mais revenons à nos stades…  A partir de la Coupe du monde 1978, on vit naître un phénomène inquiétant qui allait se généraliser : la construction d'enceintes surdimensionnées dans des villes d'accueil dépourvues d'équipes de haut niveau. Parmi les trois nouvelles constructions sorties de terre pour le Mundial argentin, deux – Mendoza et Mar del Plata – n'avaient pas de club résident.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.