En juin 2010, Strasbourg et Nancy figuraient sur la liste des sites retenus dans le dossier de candidature approuvé par l'UEFA. Et puis ces deux noms disparurent…
A Strasbourg, on en était encore à regretter de ne pas avoir
accueilli la Coupe du monde 1998. Autant dire que les responsables locaux
étaient prêts à grimper dans le train de 2016 par n'importe quel moyen. En
2009, il fut un temps question de construire un Euro Stadium tout neuf d'une
capacité de 45.000 places sur un ensemble commercial de 50 hectares, le tout
pour la modique somme de 400 millions d'euros. Il était même question de faire
financer l'opération par des fonds privés[1]. Le RC Strasbourg, qui
évoluait alors en L2, s'imaginait en Olympique lyonnais ou en Arsenal ! Le
temps de redescendre sur terre – et même de s'y enfoncer, puisque le Racing fut
relégué en National (3e division) à l'issue de la saison 2009/10 –
et voilà qu'on envisagea plus modestement d'agrandir et de rénover la Meinau.
Enfin, quand on parle de modestie, tout est relatif. Etant donné la
configuration du stade, on prévoyait tout de même 160 millions d'euros de
travaux pour bâtir un anneau de tribunes supplémentaire au dessus du toit
existant de façon à porter la capacité de 29.000 à 36.000 places.
Mais cette ambition ne dura guère. Dans la torpeur de l'été
2010, après le fiasco sud-africain du football français, le maire de Strasbourg
Roland Ries et le président de la communauté urbaine (CUS) Jacques Bigot se
fendirent d'un communiqué annonçant leur renoncement au projet. L'Etat s'était
bien engagé à verser une aide de 16 millions d'euros, tandis que le conseil
général du Bas-Rhin en avait promis 14. Mais il restait à la charge de la CUS
130 millions quand la descente du Racing en National rendait définitivement
insoluble l'équation du montage financier d'un projet de stade. Les deux élus
se défendirent en rappelant qu'ils avaient sollicité, en vain, l'Etat pour un
coup de pouce significatif et demandé la possibilité d'amender le cahier des
charges initial de l'UEFA. Pour le contribuable strasbourgeois, le spectre d'un
futur éléphant blanc s'éloignait…
Avec le retrait de Strasbourg – encore un stade de 29.000
places jugé trop petit ! – un boulevard s'ouvrait pour Nancy, désormais seule
ville du Grand Est restant en lice parmi onze candidates.
Nancy… non, si…
non
Sur le papier, le projet nancéien s'annonçait bien. Il
s'agissait d'achever des travaux qui avaient déjà permis de refaire trois des
quatre tribunes du stade et de porter sa capacité à 31.000 places. Certes, cela
en aurait fait le plus petit stade de l'Euro 2016, mais il y avait fort à
parier que Michel Platini, le président de l'UEFA qui avait réalisé ses
premiers exploits à Marcel-Picot dans les années 1970, n'y aurait rien trouvé à
redire. Malgré les 60 millions d'euros de travaux prévus, le maire de Nancy André
Rossinot n'hésita pas à parler d'"une vraie chance"[2] au soir de la désignation de
la France comme hôte de l'Euro 2016.
Mais à Nancy aussi, on regardera l'Euro sur son canapé, un
verre de mirabelle à la main. Vendredi 2 décembre 2011, la communauté urbaine
du Grand Nancy, propriétaire du stade, renonçait à accueillir l'Euro 2016. C'est
qu'à Nancy plus qu'ailleurs, on a eu le souci de l'argent public.
Pour réaliser des travaux de rénovation et d'extension
estimés à 82 millions d'euros, la CU était prête à mettre la main à la poche, à
hauteur de 20 millions d'euros. Elle se réjouissait aussi de l'aide d'Etat
annoncée pour 8 millions. Mais cela laissait un solde de 54 millions à
financer. Pour cela, les élus du Grand Nancy tenaient à faire participer le
secteur privé. Deux solutions se présentaient à eux : le partenariat
public-privé (voir chapitre X) qu'ils écartèrent, considérant dans leur grande
sagesse, que "compte tenu en particulier de son coût financier pour la
collectivité, ce type de montage [fait] peser l’essentiel de l’effort financier
sur la personne publique". A propos du PPP, le rapporteur au conseil
communautaire pointa avec lucidité la principale faiblesse du dispositif :
"L’équilibre économique d’un contrat de partenariat repose en effet sur un
loyer versé par la collectivité au partenaire privé sur toute la durée du
contrat et non sur des recettes tirées majoritairement de l’exploitation du
projet par le partenaire privé."
Restait une possibilité : proposer aux partenaires privés un
bail emphytéotique administratif (BEA), instrument juridique réservé aux
collectivités territoriales permettant à la personne publique propriétaire d’un
bien immobilier de le louer à un tiers, ce dernier pouvant y réaliser des
travaux à ses frais et en tirer un revenu. En théorie, cette solution
présentait un léger désavantage pour le projet nancéien : la loi interdit à une
collectivité locale de subventionner des travaux sur les biens confiés au
secteur privé. Autrement dit, à la différence du PPP, le BEA fait reposer
l’essentiel des risques économiques et financiers du projet sur le maître
d’ouvrage privé.
Fort opportunément, la loi du
1er juin 2011 venait de lever cet
obstacle (voir chapitre Y). Le Grand Nancy pouvait y aller de sa subvention, de
même que l'Etat, qu'il baptisa du joli nom de "levier de financement".
Tout était prêt pour permettre l'arrivée de partenaires privés dans la gestion du
stade Marcel-Picot !
Las, le rapporteur estimera le 16 décembre 2011 qu'"il
ressort clairement des offres remises tant par le groupement Vinci-Picotgest
que par le groupement Pertuy [groupe Boyugues, NDA], que l’équilibre économique
de leur opération repose sur un montage juridique et des mécanismes économiques
et financiers autres que ceux demandés par le Grand Nancy dans le cadre d’un
BEA."
"Les deux candidats estiment en effet que les 28
millions d’euros de concours publics versés par le Grand Nancy pendant la
période de construction et identifiés comme subvention d’investissement ne
permettent pas d’assurer l’équilibre financier de leur projet. Les offres des
candidats reposent sur le versement de compléments de concours publics pendant
la période d'exploitation, apparentant l’opération à un contrat de partenariat
dans laquelle l’essentiel de l'effort financier serait supporté par le Grand
Nancy. Ces demandes de compléments financiers modifient la nature même du
contrat demandé par le Grand Nancy et conduiraient à faire porter à la
collectivité une charge financière très supérieure aux engagements définis dans
la documentation de la consultation", pointe le rapporteur.
Non contents de présenter des offres inférieures à ce
qu'attendait la collectivité, les deux candidats refusent par ailleurs de
supporter le risque sportif lié à la conclusion de la convention d’occupation
du stade avec le club résident contre le paiement d’une redevance par ce
dernier. Là encore, en proposant qu’une partie de ce risque soit supportée par
le Grand Nancy en cas de dégradation des performances du club résident, les
deux candidats dénaturent l'esprit du BEA et tendent à obtenir des conditions
contractuelles similaires à celles du PPP.
A l'unanimité, le conseil de communauté déclara infructueuse
la procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de la passation d’un
BEA pour la rénovation du stade Marcel Picot et en approuva l’arrêt.
L'épilogue – provisoire – de ce triste épisode intervint fin
2014, quand le Grand Nancy, agacé de la demande du club de changer une pelouse
synthétique qui pouvait encore durer cinq ans, proposa ni plus ni moins à
l'ASNL de racheter l'enceinte. On en reparlera sans doute un jour… Quand Nancy
sera de retour en L1 et retrouvera sa santé économique.
Les renoncements de Strasbourg et Nancy à la fin de l'année
2011 furent l'occasion pour Metz d'y aller de son chant du cygne. Retoqué par
la FFF en 2009 – après avoir notamment évoqué la construction d'un nouveau
stade pour 120 millions d'euros –, le dossier messin ressortait du chapeau pour
porter les derniers espoirs du Grand Est. Espoirs minces en vérité.
Pour coller au cahier des charges de l'UEFA, Metz imaginait
dans son dernier projet un agrandissement du stade Saint-Symphorien à 35.000
places contre un investissement compris entre 40 à 45 millions d'euros, dont 10
millions de la ville, 10 millions du département et 8 millions de l'Etat. Mais très
vite on s'aperçut que la facture allait s'envoler jusqu'à atteindre 60 millions.
Finalement, le maire Dominique Gros se planqua derrière le manque de garanties
de l'Etat et se mit définitivement hors jeu.
Sans aucune ville hôte, ni dans le Grand Ouest ni dans le
Grand Est, la carte de France des sites de l'Euro 2016 était finalement conforme
aux schémas tactiques du football moderne et à son jeu sans ailier…
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