jeudi 9 juin 2016

Euro 2016 : un cahier des charges très chargé (chapitre 4 : L'Euro n'aura pas l'Alsace et la Lorraine)


En juin 2010, Strasbourg et Nancy figuraient sur la liste des sites retenus dans le dossier de candidature approuvé par l'UEFA. Et puis ces deux noms disparurent…

A Strasbourg, on en était encore à regretter de ne pas avoir accueilli la Coupe du monde 1998. Autant dire que les responsables locaux étaient prêts à grimper dans le train de 2016 par n'importe quel moyen. En 2009, il fut un temps question de construire un Euro Stadium tout neuf d'une capacité de 45.000 places sur un ensemble commercial de 50 hectares, le tout pour la modique somme de 400 millions d'euros. Il était même question de faire financer l'opération par des fonds privés[1]. Le RC Strasbourg, qui évoluait alors en L2, s'imaginait en Olympique lyonnais ou en Arsenal ! Le temps de redescendre sur terre – et même de s'y enfoncer, puisque le Racing fut relégué en National (3e division) à l'issue de la saison 2009/10 – et voilà qu'on envisagea plus modestement d'agrandir et de rénover la Meinau. Enfin, quand on parle de modestie, tout est relatif. Etant donné la configuration du stade, on prévoyait tout de même 160 millions d'euros de travaux pour bâtir un anneau de tribunes supplémentaire au dessus du toit existant de façon à porter la capacité de 29.000 à 36.000 places.
Mais cette ambition ne dura guère. Dans la torpeur de l'été 2010, après le fiasco sud-africain du football français, le maire de Strasbourg Roland Ries et le président de la communauté urbaine (CUS) Jacques Bigot se fendirent d'un communiqué annonçant leur renoncement au projet. L'Etat s'était bien engagé à verser une aide de 16 millions d'euros, tandis que le conseil général du Bas-Rhin en avait promis 14. Mais il restait à la charge de la CUS 130 millions quand la descente du Racing en National rendait définitivement insoluble l'équation du montage financier d'un projet de stade. Les deux élus se défendirent en rappelant qu'ils avaient sollicité, en vain, l'Etat pour un coup de pouce significatif et demandé la possibilité d'amender le cahier des charges initial de l'UEFA. Pour le contribuable strasbourgeois, le spectre d'un futur éléphant blanc s'éloignait…
Avec le retrait de Strasbourg – encore un stade de 29.000 places jugé trop petit ! – un boulevard s'ouvrait pour Nancy, désormais seule ville du Grand Est restant en lice parmi onze candidates.
Nancy… non, si… non
Sur le papier, le projet nancéien s'annonçait bien. Il s'agissait d'achever des travaux qui avaient déjà permis de refaire trois des quatre tribunes du stade et de porter sa capacité à 31.000 places. Certes, cela en aurait fait le plus petit stade de l'Euro 2016, mais il y avait fort à parier que Michel Platini, le président de l'UEFA qui avait réalisé ses premiers exploits à Marcel-Picot dans les années 1970, n'y aurait rien trouvé à redire. Malgré les 60 millions d'euros de travaux prévus, le maire de Nancy André Rossinot n'hésita pas à parler d'"une vraie chance"[2] au soir de la désignation de la France comme hôte de l'Euro 2016.
Mais à Nancy aussi, on regardera l'Euro sur son canapé, un verre de mirabelle à la main. Vendredi 2 décembre 2011, la communauté urbaine du Grand Nancy, propriétaire du stade, renonçait à accueillir l'Euro 2016. C'est qu'à Nancy plus qu'ailleurs, on a eu le souci de l'argent public.
Pour réaliser des travaux de rénovation et d'extension estimés à 82 millions d'euros, la CU était prête à mettre la main à la poche, à hauteur de 20 millions d'euros. Elle se réjouissait aussi de l'aide d'Etat annoncée pour 8 millions. Mais cela laissait un solde de 54 millions à financer. Pour cela, les élus du Grand Nancy tenaient à faire participer le secteur privé. Deux solutions se présentaient à eux : le partenariat public-privé (voir chapitre X) qu'ils écartèrent, considérant dans leur grande sagesse, que "compte tenu en particulier de son coût financier pour la collectivité, ce type de montage [fait] peser l’essentiel de l’effort financier sur la personne publique". A propos du PPP, le rapporteur au conseil communautaire pointa avec lucidité la principale faiblesse du dispositif : "L’équilibre économique d’un contrat de partenariat repose en effet sur un loyer versé par la collectivité au partenaire privé sur toute la durée du contrat et non sur des recettes tirées majoritairement de l’exploitation du projet par le partenaire privé."
Restait une possibilité : proposer aux partenaires privés un bail emphytéotique administratif (BEA), instrument juridique réservé aux collectivités territoriales permettant à la personne publique propriétaire d’un bien immobilier de le louer à un tiers, ce dernier pouvant y réaliser des travaux à ses frais et en tirer un revenu. En théorie, cette solution présentait un léger désavantage pour le projet nancéien : la loi interdit à une collectivité locale de subventionner des travaux sur les biens confiés au secteur privé. Autrement dit, à la différence du PPP, le BEA fait reposer l’essentiel des risques économiques et financiers du projet sur le maître d’ouvrage privé.
Fort opportunément, la loi du 1er juin 2011 venait de lever cet obstacle (voir chapitre Y). Le Grand Nancy pouvait y aller de sa subvention, de même que l'Etat, qu'il baptisa du joli nom de "levier de financement". Tout était prêt pour permettre l'arrivée de partenaires privés dans la gestion du stade Marcel-Picot !
Las, le rapporteur estimera le 16 décembre 2011 qu'"il ressort clairement des offres remises tant par le groupement Vinci-Picotgest que par le groupement Pertuy [groupe Boyugues, NDA], que l’équilibre économique de leur opération repose sur un montage juridique et des mécanismes économiques et financiers autres que ceux demandés par le Grand Nancy dans le cadre d’un BEA."
"Les deux candidats estiment en effet que les 28 millions d’euros de concours publics versés par le Grand Nancy pendant la période de construction et identifiés comme subvention d’investissement ne permettent pas d’assurer l’équilibre financier de leur projet. Les offres des candidats reposent sur le versement de compléments de concours publics pendant la période d'exploitation, apparentant l’opération à un contrat de partenariat dans laquelle l’essentiel de l'effort financier serait supporté par le Grand Nancy. Ces demandes de compléments financiers modifient la nature même du contrat demandé par le Grand Nancy et conduiraient à faire porter à la collectivité une charge financière très supérieure aux engagements définis dans la documentation de la consultation", pointe le rapporteur.
Non contents de présenter des offres inférieures à ce qu'attendait la collectivité, les deux candidats refusent par ailleurs de supporter le risque sportif lié à la conclusion de la convention d’occupation du stade avec le club résident contre le paiement d’une redevance par ce dernier. Là encore, en proposant qu’une partie de ce risque soit supportée par le Grand Nancy en cas de dégradation des performances du club résident, les deux candidats dénaturent l'esprit du BEA et tendent à obtenir des conditions contractuelles similaires à celles du PPP.
A l'unanimité, le conseil de communauté déclara infructueuse la procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de la passation d’un BEA pour la rénovation du stade Marcel Picot et en approuva l’arrêt.
L'épilogue – provisoire – de ce triste épisode intervint fin 2014, quand le Grand Nancy, agacé de la demande du club de changer une pelouse synthétique qui pouvait encore durer cinq ans, proposa ni plus ni moins à l'ASNL de racheter l'enceinte. On en reparlera sans doute un jour… Quand Nancy sera de retour en L1 et retrouvera sa santé économique.
Les renoncements de Strasbourg et Nancy à la fin de l'année 2011 furent l'occasion pour Metz d'y aller de son chant du cygne. Retoqué par la FFF en 2009 – après avoir notamment évoqué la construction d'un nouveau stade pour 120 millions d'euros –, le dossier messin ressortait du chapeau pour porter les derniers espoirs du Grand Est. Espoirs minces en vérité.
Pour coller au cahier des charges de l'UEFA, Metz imaginait dans son dernier projet un agrandissement du stade Saint-Symphorien à 35.000 places contre un investissement compris entre 40 à 45 millions d'euros, dont 10 millions de la ville, 10 millions du département et 8 millions de l'Etat. Mais très vite on s'aperçut que la facture allait s'envoler jusqu'à atteindre 60 millions. Finalement, le maire Dominique Gros se planqua derrière le manque de garanties de l'Etat et se mit définitivement hors jeu.
Sans aucune ville hôte, ni dans le Grand Ouest ni dans le Grand Est, la carte de France des sites de l'Euro 2016 était finalement conforme aux schémas tactiques du football moderne et à son jeu sans ailier…


[1] Footpro n°44, mars 2009.

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.