jeudi 9 juin 2016

Euro 2016 : un cahier des charges très chargé (chapitre 1)



Le 28 mai 2010, la France obtenait l'organisation de l'Euro 2016 par sept voix en sa faveur contre six à la Turquie. Immédiatement, la question des stades est posée : "La France ne devra pas manquer sa chance d’enfin réussir ses stades, pour permettre le développement économique de ses clubs", écrivit Vincent Duluc[1], chef de la rubrique football de L'Equipe. Pour lui, "certains virages ont été manqués, en 1984 et en 1998", à l'occasion des deux dernières phases finales organisées en France  (Euro 1984 et Mondial 1998). Mais a-t-on vraiment manqué ces deux virages ? Pas si sûr…

Avant la Coupe du monde 1998, la moyenne de spectateurs par match de D1 était de 13.600. Elle s'établissait à 20.050 deux ans plus tard. Parallèlement, le taux de remplissage des stades, qui s'élevait à 49% lors de la saison 1996/97, a bondi à 76% en 1999/2000, et n'est plus jamais redescendu depuis en dessous de 70%. Pourtant, durant ces presque deux décennies, la jauge totale des stades de L1 évoluait très peu, oscillant entre 525.000 et 588.000 places au gré de la participation au championnat d'élite de certains clubs – avec ou sans Lens, ça change tout ! – et des travaux d'agrandissement de certaines enceintes – à Metz ou Rennes. Autrement dit, les stades français "à moitié vides" qu'évoquait le chercheur Van Limbergen étaient désormais remplis aux trois-quarts, sans que l'on ait dû pour parvenir à ce résultat recourir au renouvellement massif du parc de stades. Le but – accroître le nombre de spectateurs et, mécaniquement, les recettes des clubs – avait donc été atteint. Et avec des taux de remplissage des enceintes un peu supérieurs à 70%, la marge de croissance en termes d'affluence était encore belle.
Faut-il construire de nouveaux stades ? A quel prix ? Sous quelle forme ? Ces questions sont évidemment au cœur de la réponse que nous cherchons quand nous demandons : "A qui profite l'Euro 2016" ? Nous y reviendrons… Avant cela, il est temps d'examiner les demandes formulées par l'UEFA à la France après lui avoir octroyé l'organisation de l'Euro 2016.
Un an avant la décision de la confédération européenne, on savait à quoi s'en tenir. L'addition allait être salée. Jacques Lambert, alors directeur général de la Fédération française de football, devenu depuis directeur de la SAS Euro 2016, expliquait que "les exigences préalables" avaient énormément changé depuis la Coupe du monde 1998 à laquelle il avait déjà travaillé. "Le cahier des charges de la Fifa pour 1998 était d'une vingtaine de pages, pour l'Euro 2016 c'est 500 pages", confia-t-il à l'AFP[2]. Avant même de prendre sa décision, l'UEFA exigeait de la fédération et des villes-hôtes pressenties qu'elles fournissent des plans de stades et des engagements de financements.
C'est donc un dossier comportant douze stades – neuf devant être en principe retenus pour le tournoi – dont onze nécessitant des travaux pour un coût total de 1,7 milliard d'euros que la France présenta. Le coût des travaux fut respecté… alors que deux stades disparaissaient en cours de route. Autrement dit, par rapport aux estimations de 2010, 220 millions d'euros supplémentaires sont venus alourdir la facture des stades finalement retenus. Une facture record qui, nous le verrons plus tard, est encore loin de refléter les dépenses réelles sur le long terme !
Parmi les enceintes que la France entendait proposer à l'UEFA pour y taper dans un ballon avec l'espoir de soulever la coupe Henri-Delaunay, seul le Stade de France ne devait pas nécessiter de travaux d'envergure. Partout ailleurs, les estimations de travaux allaient de 56 millions d'euros à Toulouse pour la rénovation du Stadium à 325 millions à Lille pour la construction d'un stade neuf. C'était à se demander si les rencontres de Ligue 1 – voire de la Ligue des champions ou de la Ligue Europa pour les clubs les plus performants – ne se jouaient pas habituellement sur des terrains vagues ne méritant pas le nom de stade !
Un brin naïf, Vincent Duluc écrivait au soir de la désignation de la France comme pays organisateur de l'Euro 2016 : "Les stades de 1984 ne convenaient plus, déjà, en 1998. Ceux de 1998 ne suffisent plus aujourd’hui. Il serait temps de construire pour un futur qui excède les dix prochaines années." Quant à Frédéric Thiriez, le toujours très lyrique président de la LFP, il s'exclamait de sa voix de stentor de l'opéra lyrique : "Ces stades ne vont pas être construits que pour l’Euro, mais pour les cinquante années qui vont suivre."[3] Bien chers Vincent et Frédéric, comment imaginer que les stades d'aujourd'hui satisferont aux exigences de demain quand on connaît les normes toujours plus ubuesques qu'imposent les organisateurs compétition après compétition ?!
Plongeons-nous donc dans les méandres d'un document de 203 pages – pour sa version publique – qui a dû causer bien des nuits blanches à tous les responsables du football français depuis que notre beau pays a été désigné hôte de l'Euro 2016 : le cahier des charges de l'UEFA.
Au chapitre "Stades", on y apprend que les exigences de l'UEFA pour accueillir l'épreuve en termes de capacité des stades sont de deux enceintes d'au moins 50.000 places (et préférablement un d'au moins 60.000), de trois d'au moins 40.000 places et de quatre d'au moins 30.000 places. A cette étape, autant dire que si ce n'était la volonté des dirigeants du football français de voir fleurir de nouvelles et flamboyantes cathédrales du football, nous aurions pu accueillir l'événement sans aucune construction neuve ni rénovation importante. Sauf que…
Sauf qu'au-delà de ces exigences somme toute raisonnables pour un pays comme la France – et nous avons vu qu'à l'échelle du Portugal cela n'a pas été sans poser problème –, l'UEFA entre ensuite dans des détails qui compliquent singulièrement la donne. Par exemple, la capacité des stades doit être calculée en ne tenant compte que des sièges larges d'au moins 50 centimètres pour le public général et d'au moins 60 centimètres pour les places VIP et les loges. Les gradins doivent avoir une profondeur de un mètre pour les places VIP et les loges et de 80 centimètres pour le public général. Le nombre de places à hospitalités – comme on nomme désormais dans les plaquettes sur papier glacé les gâteries offertes à ceux qui assistent aux matchs aux frais d'un commanditaire – devront varier de 3.000 à 9.000 selon la capacité totale du stade et l'importance du match. En tout état de cause, la part de ces places à forte valeur ajoutée pour l'UEFA doit être comprise entre 8 et 15% de la capacité totale du stade. Dans ce domaine, la norme a plus que doublé entre l'Euro 2012 et l'Euro 2016 !
Au-delà des problèmes de capacité et de dimension des sièges, l'UEFA exige encore que l'aire de jeu soit orientée selon un axe nord-sud, et ne dévie pas, dans tous les cas, de plus de 15° de cet axe. En ce qui concerne l'éclairage de la pelouse, il doit être au minimum de 2.000 lux. Le but étant, pour chacune de ces mesures, de faciliter la qualité des images de télévision, notamment en haute définition. C'est pourquoi, à moins d'arrêter net les progrès technologiques, il nous semble illusoire de penser que les stades d'aujourd'hui seront encore aux normes dans dix ou vingt ans.
Autre requête de l'UEFA : chaque vestiaire doit avoir une superficie minimum de 150 m2.  Quant aux vestiaires du corps arbitral, ils doivent être au nombre de deux et mesurer au minimum 24 m2 chacun. La salle dévolue au contrôle antidopage devant pour sa part avoir une surface minimale de 50 m2. Etc.


[1] L'Equipe, 29 mai 2010.
[2] AFP, 26 mai 2009.
[3] France football, 1er juin 2010.

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.