mercredi 8 juin 2016

Le meilleur des stades ?

La volonté d’éradiquer la violence dans les enceintes sportives porte ses fruits, mais les nouvelles « arenas », d’où les catégories populaires se sont retirées, baignent dans une ambiance aseptisée.

Parmi les dix stades qui vont accueillir l’Euro 2016 de football, quatre ont été inaugurés récemment, à Lille, Nice, Bordeaux et Lyon. Le contraste est saisissant avec le Mondial 1998, à l’occasion duquel une seule nouvelle enceinte avait été édifiée : le Stade de France. D’ailleurs, la France n’a pas construit tous ces stades pour organiser l’Euro ; elle s’est au contraire portée candidate à l’organisation de l’Euro pour renouveler son parc de stades. Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football, le rappelait dans une interview récente au Progrès : « L’idée de départ était simple, elle partait du constat que la France était très en retard en matière d’infrastructures et notamment de stades. Il suffisait de regarder l’Allemagne ou l’Angleterre pour s’en convaincre. »
Pourquoi les stades ayant accueilli le Mondial ne conviennent-ils plus, moins de vingt ans après ? Qu’est-ce qui a changé depuis ? D’abord, les institutions footballistiques internationales fixent des cahiers des charges de plus en plus stricts pour l’organisation d’une grande compétition internationale. Ensuite, une nouvelle économie du football s’est développée à partir des années 1990 : libéralisation des transferts à l’échelle européenne à la suite de l’arrêt Bosman, explosion des droits télévisuels avec l’essor des chaînes sportives payantes, réforme de la ligue des champions qui facilite l’accès des plus grands clubs à cette compétition majeure…
Dès lors, un nouveau modèle de stade s’est imposé. Ces « arenas » modernes proposent des conditions d’accueil plus confortables, une excellente visibilité, une large gamme de services, des mégastores déclinant les produits dérivés, une part plus importante des places réservées aux VIP… Elles sont ainsi censées offrir aux spectateurs une « expérience » plus intense et au club un élargissement de ses publics, de la consommation au stade et donc de ses ressources afin d’être compétitif d’un point de vue économique et sportif.
Puisque les normes internationales sont strictes et que quelques cabinets d’architectes se sont spécialisés dans ce type d’ouvrage, l’intérieur des nouveaux stades est largement similaire d’une ville à l’autre, la différenciation se faisant par la façade. Ces nouvelles enceintes étant situées en périphérie des villes, la temporalité de la sortie au stade s’allonge : il faut arriver tôt et partir tard, ce qui évite l’engorgement des accès et accroît la durée de consommation au stade.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas pris ce tournant du football moderne lors du Mondial 1998, alors que l’Angleterre a transformé son football à l’occasion de l’Euro 1996 ? Parce que, dans les années 1980, les Anglais ont été touchés par plusieurs drames dans les stades, provoquant des dizaines de morts. Ils ont pris conscience du niveau insupportable de violence de certains de leurs supporteurs, mais aussi des conditions d’accueil exécrables offertes par des stades vétustes. Le nouveau football anglais, puis européen, repose ainsi sur deux piliers : de nouveaux stades et une lutte ferme contre le hooliganisme. C’est dans cette voie que la France s’est engagée depuis la fin des années 2000. Les autorités sportives et publiques mettent en avant ce modèle d’un stade amélioré, plus confortable et sans violence, afin d’attirer un public plus « familial ».
Le Paris-Saint-Germain est le club français qui a le plus transformé l’expérience vécue de son stade ces dernières années. Après la mort de deux supporteurs, le PSG et les pouvoirs publics ont mis en place, en 2010, un plan de sécurité radical pour supprimer la violence et le racisme du Parc des Princes. Ensuite, quand de riches actionnaires qataris ont repris le club, ils ont entrepris de réaménager l’intérieur du Parc en suivant les principes modernes et d’offrir un spectacle haut de gamme : des vedettes sur le terrain et dans les tribunes, des animations variées autour du match, une augmentation forte du prix des places… Aujourd’hui, le Parc ne connaît plus de problèmes de violence et de racisme, mais l’ambiance a fortement décliné et les catégories populaires tendent à être évincées.
De plus, le Parc est devenu un espace extrêmement contrôlé : trajets balisés en amont ; contrôle d’identité à l’entrée ; tri parmi les supporteurs, des fans n’étant pas interdits de stade par les autorités publiques se voyant refuser l’accès par le club parce que perçus comme dangereux du fait de leur violence ou de leur esprit contestataire ; individualisation des publics, tous les groupes de supporteurs – même ceux n’ayant jamais posé de problèmes – ayant disparu ; bannissement de tout discours critique envers le club ; rondes incessantes des stadiers dans les deux tribunes derrière les buts pour contrôler le comportement des supporteurs et exfiltrer ceux qui se conduisent mal…
Cette évolution du Parc amène à se demander si les nouveaux stades sont bien les meilleurs des stades ou si, comme dans Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, ils annoncent un avenir des stades caractérisé par l’extension du domaine du contrôle et de la consommation. Des stades où Balthazar, le coq du fan des Bleus Clément d’Antibes, n’a pas droit de cité. Des stades où les banderoles contestataires sont prohibées, car politiques.
Cette évolution n’est pourtant pas inéluctable. En effet, des supporteurs s’organisent à l’échelle locale, nationale et internationale pour défendre une vision plus « populaire » du spectacle sportif. De leur capacité à porter un discours clair et rejetant la violence dépendra l’évolution des stades. Elle dépendra aussi de l’attitude des dirigeants du football qui ne sont pas tous convaincus par le modèle parisien. Par pragmatisme d’abord, car ils sont conscients de ne pas pouvoir remplir leur stade s’ils écartent une grande partie de leur public traditionnel et s’ils augmentent fortement le prix des places. Mais aussi par conviction.
Le Parc olympique lyonnais, inauguré en janvier, fait office de contre- modèle par rapport au Parc des Princes, en tentant de concilier les exigences du « football business » et de la sécurité, avec le respect des traditions du club et du football. Contrairement à Paris où le public tend à s’homogénéiser, le Stade lyonnais, comme ses homologues allemands, offre des secteurs différenciés permettant de satisfaire les divers publics (anciens comme modernes), y compris les fans festifs et/ou populaires. Jean-Michel Aulas, le président de l’OL, considère les associations de supporteurs comme des « syndicats » avec lesquels il convient d’entretenir un bon dialogue social, et il leur permet d’animer les tribunes de manière autonome.
Les nouveaux stades ne sont donc pas réduits à l’alternative d’un stade bouillant et violent ou d’un stade contrôlé et aseptisé. D’autres options existent : pour les construire, il est nécessaire d’ouvrir un véritable débat sur ce que doit être un stade de football dans notre société.

(Le Monde)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.