mardi 15 avril 2014

Espaces, sites et itinéraires de sports de nature : des parcours semés d'embûches juridiques

Le randonneur à pied, à cheval ou à vélo ne le sait pas toujours, mais sous ses pas légers de citadin ravi de respirer l'air frais de la forêt se cache souvent un montage juridique insoupçonné... et parfois bancal. Propriété d'une personne privée ou d'une personne publique, au titre de son domaine privé ou de son domaine public, l'espace, site ou itinéraire de pratique de sports de nature (ESI) fait fréquemment l'objet d'un contrat. Or, dans ce domaine où il n'existe pas de dispositif législatif contraignant, les pratiques se caractérisent par une grande diversité, lesquelles entraînent "un certain manque de lisibilité, voire une impression générale de flou juridique". Qui contracte avec qui ? Pour quoi faire ? Dans quel cadre ? Selon quelles modalités ? C'est ce qu'a cherché à savoir le pôle ressources national des sports de nature du ministère des Sports en confiant au CDES de Limoges (Centre de droit et d'économie du sport) une étude sur la question. Parue fin mars 2014, cette "Analyse juridique des pratiques et outils de contractualisation pour l'accès et la pérennisation des espaces, sites et itinéraires de sports de nature" met en avant les enjeux en termes de responsabilité et formule des préconisations tendant à les clarifier ou à les atténuer.

Collectivité ou fédération, qui doit contracter ?

L'étude dresse tout d'abord un état des lieux des pratiques contractuelles dans le domaine des sports de nature. Il y est rappelé qu'en France, le développement raisonné des sports de nature prend en compte l'ensemble des intérêts en présence : pratiquants, droit de propriété, préservation de l'environnement et droits des autres usagers de la nature. En outre, le département, auquel la loi donne compétence pour "favoriser un développement maîtrisé des sports de nature", dispose à cette fin de deux outils juridiques, l'un de concertation, la commission départementale des espaces, sites et itinéraires (CDESI), l'autre de planification, le plan départemental des espaces, sites et itinéraires (PDESI). Pour autant, la diversité des acteurs, et notamment la présence des fédérations sportives – à l'image de la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME) qui dispose de quelque 1.057 conventions selon huit modèles types d'autorisation d'usage selon qu'elle contracte avec une collectivités territoriale ou un propriétaire privé – entraîne parfois la mise à l'écart d'un site du PDESI.
Autre problème posé par cette diversité : les contrats passés par les fédérations sportives autorisant l'usage des sites conventionnés par tous les pratiquants, licenciés ou non. Une situation qui "pourrait bien évoluer à terme pour des raisons liées au coût de l'assurance responsabilité civile (RC) souscrite par ces mêmes fédérations", car, in fine, le coût de l'assurance payée par les fédérations n'est répercuté que sur ses seuls pratiquants licenciés. "Est-ce le rôle d'une fédération délégataire de conventionner pour permettre l'accès à tous les pratiquants, licenciés ou non, pratiquants individuels ou groupes encadrés par des professionnels, français ou provenant du monde entier ?", s'interroge la FFME en réponse au questionnaire adressé par le CDES.
Toujours à propos de la présence du mouvement sportif, le CDES note la nécessité pour les collectivités de s'en remettre à des choix techniques en concertation avec les comités sportifs départementaux et préconise un deuxième niveau de contractualisation, après l'autorisation d'usage du site : la collectivité confiant à des prestataires différentes missions en lien avec l'aménagement et l'entretien ou la maintenance des ESI conventionnés.

Le plan départemental, un service public local ?

Dans une seconde partie consacrée à la nature et au régime juridiques des contrats conclus dans le domaine des sports de nature, l'étude note que si la loi "pourrait […] laisser à penser que tous les ESI de sports de nature appartenant à des personnes publiques et affectés à l'usage direct du public seraient finalement des dépendances du domaine public", la nature juridique des contrats conclus dans le domaine des sports de nature doit être appréciée au cas par cas. "Force est de souligner que certains doutes peuvent demeurer au sujet des contrats auxquels une personne publique est partie, et que seule une analyse approfondie de ces derniers peut permettre de se prononcer sur leur qualification", souligne l'étude. Là encore, la question du PDESI est prégnante dans la qualification juridique des contrats. "Ne faut-il pas considérer qu'un département qui s'engage dans une politique de développement des sports de nature, en élaborant un PDESI, en finançant l'aménagement des ESI inscrits à ce PDESI, en faisant la promotion des sports de nature pratiqués sur ces ESI, etc., s'inscrit, de fait, dans une logique de service public local ?", questionne le CDES, avant d'envisager une réponse : "Le problème est donc de savoir si l'aménagement du site réalisé par ou pour le compte de la personne publique en vue de son usage touristique et/ou sportif constitue un 'aménagement indispensable' à l'exécution du service public créé par cette personne publique." Si c'est le cas, l'ESI sera incorporé dans le domaine public, sans qu'y fasse obstacle la volonté de la personne publique de le maintenir dans son domaine privé.

Pour une "garde en commun"

Plus largement, la question de la responsabilité est au coeur de la problématique du conventionnement dans le domaine des sports de nature. On peut la résumer ainsi : qui doit assumer la responsabilité des dommages susceptibles d'être causés aux pratiquants lors de l'utilisation d'un ESI de sports de nature ?
Dans ses préconisations, l'étude propose d'étendre l'exonération légale de responsabilité civile bénéficiant aux propriétaires riverains de cours d'eau privés à l'ensemble des propriétaires et gestionnaires d'ESI pour les dommages causés ou subis à l'occasion de la pratique des sports de nature. Ou encore de prévoir dans les contrats d'autorisation d'usage une clause responsabilisant les pratiquants, voire une "garde en commun" du site lorsque le site est régulièrement utilisé par différentes structures (comité départemental, club, professionnels…) de manière à "diluer" le risque de responsabilité et donc les coûts d'assurance. Autre idée : renforcer la valeur juridique du PDESI. D'abord en privilégiant, dans le cadre du PDESI, un conventionnement par les collectivités territoriales ou leurs groupements plutôt que par les fédérations sportives. Ensuite, en faisant en sorte que les départements veillent à n'inscrire au PDESI que les ESI dont ils sont à même d'assurer le suivi et l'entretien et la maintenance.
Le CDES prône également que, dans le cadre du projet de loi de modernisation du sport en cours d'élaboration, il soit envisagé de définir plus clairement le champ de la mission de service déléguée aux fédérations sportives. La notion de service public pouvant influer sur la qualification juridique des contrats conclus dans le domaine des sports de nature, et même sur celle des sites de pratique. Plus globalement, il serait souhaitable de sécuriser le conventionnement à travers des durées contractuelles "assez longues […] et surtout des clauses de tacite reconduction", mais aussi en précisant "les droits respectifs du preneur et du propriétaire quant à l'utilisation du terrain". Malgré ces précautions, tout risque ne serait pas exclu pour les contractants. "La qualification juridique d'un contrat dépend in fine de l'appréciation souveraine du juge, ce dernier n'étant pas lié en effet par la qualification que les parties ont donnée à leur contrat", rappelle le CDES.

(Localtis)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.