"Vous voyez la ligne jaune ?
C'était ma maison", dit Jerônimo Sebastião de Oliveira en désignant la route
toute neuve qui mène au stade de Recife et dont la construction a nécessité
l'expulsion d'une centaine de familles.
Du seul bras qui lui reste depuis un accident du travail, il montre où se
trouvaient son ancien jardin, ses bananiers, les deux grandes chambres,
aujourd'hui de la terre ratissée et boueuse traversée par le "Ramal da Copa"
(la voie de la Coupe) à Camaragibe, une commune voisine de Recife, au nord-est
du Brésil.
Expulsé fin 2013, à 72 ans, ce petit homme frêle est allé vivre chez sa
soeur, avant d'acheter une nouvelle maison dans une favela, avec l'argent reçu
en compensation. Son bien a été évalué 44.000 reais (14.000 euros) mais il n'a
reçu que 30.000 reais pour l'instant. D'après une évaluation indépendante, son
ancienne maison en valait 150.000.
"Avec ma première femme qui est décédée, nous avions économisé pour
investir dans notre futur. J'avais un grand terrain, je pouvais jardiner, et
une grande salle à manger, et la structure était conçue pour aménager un étage.
Ce n'est pas du tout comparable avec cette maison", explique-t-il dans sa
minuscule entrée-salon, où la télévision et les photos de son fils ne cachent
pas les immenses taches d'humidité sur les murs.
Depuis 2010, entre la construction de l'Arena Pernambuco de Recife et des
infrastructures adjacentes comme le Ramal da Copa, Thiago Norões, le procureur
général de l'Etat du Pernambouc, dont Recife est la capitale, a recensé 457
expulsions, soit environ 1.500 personnes touchées.
Il évoque les cas d'occupation irrégulière, les documents qui manquent ou
établis au nom de personnes disparues.
Mais "67% des cas se sont résolus à l'amiable", assure-t-il. "Nous avions
un budget de 100 millions de reais (33 millions d'euros), dépensé à 90%. Nous
avons payé des indemnités selon les modalités définies par la loi, le prix
juste, après des analyses individuelles. Et les gens peuvent faire appel s'ils
s'estiment lésés."
"Le procureur parle tout le temps d'un +mal nécessaire+. Ils n'ont pas de
coeur. L'Etat et la justice nous méprisent depuis le début", affirme Ana Paula
Oliveira, qui fait partie des dépossédés de Camaragibe. Elle a perdu sa maison,
et le salon de beauté qu'elle louait.
"Le jour où ils ont rasé ma maison, je n'étais pas là, j'étais sous le
choc", raconte-t-elle en montrant la vidéo tournée par sa nièce. En cinq
secondes, le bulldozer emporte les murs rouges, la charpente vole en éclats, et
un nuage de poussière cache le vide laissé derrière.
Depuis, Ana Paula partage sa vie entre un nouveau salon de beauté dont la
location lui coûte trois fois plus cher qu'avant, le tribunal où elle passe des
heures à tenter de régulariser sa situation, et la maison de sa mère, où elle
dort. Son mari et ses fils de 13 et 15 ans habitent chez ses beaux-parents,
dans une maison de fortune, construite sur le bout de terrain qui leur reste,
en bordure de la nouvelle route.
"Pour des gens pauvres, nous avions tout. De l'eau propre, l'électricité.
La joie, la paix. Aujourd'hui il ne reste rien", se désole Ana Paula, une femme
de 37 ans, sûre d'elle, qui semble ne jamais baisser les bras. "J'aime bien le
foot, mais c'est une Coupe du monde pour qui ? Nous avons des stades de
millionnaires au-dessus de nos maisons, de notre disgrâce, de nos ruines. Tant
mieux pour les sponsors, pour la Fifa, mais pour nous ça n'a été que
destruction."
"L'Etat fait ce qui est nécessaire légalement, au moindre coût possible,
pour évacuer le plus rapidement possible les habitants qui gênent", analyse
Parry Scott. Chercheur à l'Université fédérale du Pernambouc, il a travaillé
sur les expulsions de Camaragibe et sur d'autres avant, liées à des projets
sportifs ou industriels.
"Les valeurs des propriétés sont calculées à partir de la taxe immobilière,
qui est bien inférieure, dans tout le Brésil, à la valeur de marché",
explique-t-il. "Les maisons sont donc intentionnellement sous-évaluées."
En chemise jaune et chaussures de ville -visite au tribunal oblige-
Jerônimo arpente la terre boueuse, entre deux averses.
"S'ils me redonnaient mon terrain et de l'argent, je reconstruirais ma
maison ici, comme elle était avant. Pour assurer l'avenir de ma deuxième femme
et de mon fils quand je ne serai plus là."
(AFP)
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