"Il faut récupérer ce gamin!" L'entraîneur est inquiet: la veille, un
gang a surgi à moto sur l'un des terrains poussiéreux de Cucuta où il
forme de jeunes Colombiens au rugby et a embarqué un joueur âgé d'à
peine 10 ans.
Sous un soleil de plomb, en maillots dépareillés,
parfois en sandales, une quarantaine de garçons et filles échangent des
passes, à la main! Dans une Colombie fanatique du ballon rond, le rugby
se fait peu à peu une place, misant sur des valeurs de contrôle de soi
et de respect, pour endiguer la violence.
Frontalière du Venezuela, Cucuta, environ 500.000 habitants, figurait l'an dernier parmi les 25 villes les plus dangereuses du monde, selon l'ONG Sécurité, Justice et Paix, basée à Mexico.
"Il
y a beaucoup de gangs, du trafic de drogue jusque dans les écoles, de
la contrebande et des combats narcos-guérilla pour contrôler tout ça",
énumère à l'AFP William Leon, 30 ans.
Comme de nombreux
Colombiens, il est profondément affecté par le conflit armé qui déchire
son pays depuis plus de 50 ans. "Mon père était policier. Une nuit, la
guérilla a bombardé la tour de communication du poste...", se
souvient-il, soudain submergé par l'émotion.
Tombé dans le rugby à
l'université, ce gentil géant au regard pétillant de passion préside
aujourd'hui les Carboneros de Cucuta, l'un des 18 clubs de rugby qu'il a
fait essaimer dans la ville.
"En
avant! Plus vite!", lance-t-il, arpentant un terrain de fortune où les
cailloux le disputent aux tessons de bouteille, à deux pas de
l'impeccable stade de foot du Centenario.
Pelouses et crachin
européens sont bien loin. Mais peu importe les 40 degrés à l'ombre! "La
boue, c'est nous qui la faisons, de sueur et de poussière", plaisante
William, en distribuant de petits sachets de plastique remplis d'eau à
ses troupes.
Il dirige aussi le programme "Mas ninos jugando
rugby" ("Plus d'enfants jouant au rugby") qui vise à "sortir les enfants
de la violence" grâce au H des barres de rugby, symboles pour lui des
valeurs de ce sport: "Humildad, Hermandad, Honor" ("Humilité,
Fraternité, Honneur").
Lancé à petite échelle il y a sept ans, ce
programme développé depuis dans 14 écoles enrôle plus de 600 enfants, de
6 à 17 ans, dont 150 filles. Car le combat pour la parité est aussi une
valeur importante aux yeux de William Leon. "Les filles du rugby à VII
se sont qualifiées pour les JO de Rio. Pas les garçons!", souligne-t-il.
Ce
succès, remporté sans sponsor et avec seulement quelques subventions
locales, a attiré l'attention du ministère des Affaires étrangères,
engagé dans une "diplomatie sportive" se traduisant par des accords de
coopération avec divers pays.
Par ce biais, deux anciens
internationaux français, Francis Ntamack et Cédric Desbrosse, ont
sillonné la Colombie pendant deux semaines. Membres de l'ONG Rugby
French Flair, présidée par Jean-Baptiste Ozanne et qui promeut ce sport
dans les pays en difficulté, ils ont prodigué formations et
entraînements, de Medellin à Bogota, via Apartado et Cucuta.
"Les
jeunes d'ici ont l'intelligence du jeu, le gabarit. Le plus dur est de
les faire jouer ensemble: dans leur vie compliquée, ils sont habitués à
se battre seuls", explique Francis Ntamack, 42 ans, ancien de Colomiers,
du Stade Toulousain, et ex-entraîneur de l'équipe du Brésil.
Pour
Cédric Desbrosse, 43 ans, entraîneur de Givors, près de Lyon
(centre-est) et ancien lui aussi des Rouge et Noir de Toulouse, "l'idée
est qu'ils intègrent le sens du partage, par des petits jeux de passe,
qu'ils s'amusent". Et qu'"ainsi ils canalisent leur violence, la
transforment en agressivité positive", renchérit William Leon.
Et
les enfants sont enthousiastes: trois fois par semaine, Yurley Perez
marche 45 minutes pour venir s'entraîner, depuis Los Olivos, un des
quartiers les plus mal famés de Cucuta. "J'adore tacler!", lance cette
blondinette de 15 ans. Plus réservée mais tout aussi motivée, sa copine
Gabriella Caballero ajoute: "Le rugby m'a appris à savoir tomber et à me
relever".
(AFP)
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