mardi 23 février 2016

Diffuser du football à la télé : le plus sûr moyen de perdre des millions ?

Le monde merveilleux de la télévision ne bruisse plus que de l’accord entre BeIN Sports et Canal+ : la chaîne qatarie devrait être prochainement diffusée par son concurrent Canal (à moins que l’Autorité de la concurrence n’y mette son veto en avril).
Ce serait à la fois un coup d’arrêt à la bérézina de la chaîne cryptée sur la diffusion des événements sportifs et une exhibition de ses muscles de nature à intimider Altice et sa folle boulimie. L’excitation est à son comble et chacun fourbit ses armes pour diffuser le très cher football et la NBA.

Des droits indécemment faibles ?

Après le « décevant » appel d’offres anticipé d’avril 2014 (pour les saisons 2016-2017 à 2019-2020), nombreux sont ceux qui ont dénoncé la précipitation de Frédéric Thiriez qui n’aurait vendu les droits de diffusion des Ligues 1 et 2 "que" pour 748,5 millions d’euros , là où les droits de son homologue anglo-galloise furent cédés un an plus tard pour le triple. Le président du FC Nantes ne réclamait-t-il pas, en décembre 2015, que les droits de diffusion soient renégociés ? Sept cent cinquante millions d’euros ne sont-ils pas indécemment faibles ? Ce serait le milliard d’euros qu’il faudrait atteindre, assurément !

Une désirabilité du spectacle surestimée ?

A l’occasion de l’émergence de l’accord entre Canal + et BeIN Sports, quelques chiffres intéressants ont été révélés : BeIN Sports perdrait quelques 250 millions d’euros par an et Canal + a perdu 264 millions d’euros en 2015… A l’heure où les droits de diffusion annuels de la Ligue 1, partagés entre les deux diffuseurs, ne sont encore que d’un peu plus de 600 millions d’euros, on ne manquera pas de remarquer que la diffusion de la Ligue 1 n’est peut être pas une si belle affaire. Même avec 2,5 millions d’abonnés qui déboursent chacun 13 euros par mois (156 euros par an), soit une recette annuelle de moins de 400 millions d’euros, il est difficile pour BeIN Sports de couvrir l’acquisition du foot français, de la Ligue des champions, de la NBA, de Wimbledon et d’une pléthore d’autres événements… Il en ira de même pour Altice, la chaîne de M. Drahi, qui s’est engagée à débourser 100 millions d’euros par an dès la prochaine saison pour diffuser la seule Premier League. Même si l’on suppose (avec optimisme) qu’un million de ménages français est prêt à dépenser ses euros pour suivre la Premier League, est-il raisonnable de penser que la disponibilité à payer annuelle de chacun est de 100 euros au minimum ? Ces calculs sont à l’évidence trop caricaturaux, mais ils permettent de nuancer les discours exagérément optimistes des clubs de football : la désirabilité du spectacle que ces derniers offrent chaque week-end est sans doute plus faible que ce que ceux-ci imaginent ou feignent d’imaginer. Et le déséquilibre durable de la compétition ne devrait pas améliorer l’affaire : la domination absolue du club parisien, si elle enthousiasme les commentateurs franciliens des chaînes de télévision en continue, rend franchement « rasoir » la Ligue 1 (sauf à se passionner pour la diarrhée verbale des joueurs les plus immatures).

Chacun avance « à tâtons »…

Le record, tant de fois claironné, des droits de diffusion de la Premier League (qui ne prendra effet qu’en septembre prochain) suscite les convoitises. Personne, en réalité, ne sait combien de diffuseurs vont sombrer sous la charge de ces droits TV pharaoniques. Chacun avance « à tâtons » et les clubs de football tentent d’accentuer la fuite en avant dans l’espoir de trouver un petit bol d’air. Les signaux sont au rouge pour les diffuseurs français, mais le débat se focalise sur les futures hausses de tarifs que ceux-ci s’apprêteraient à accepter sans broncher. Diffuser du football à la télévision est sans doute le plus sûr moyen de perdre des millions...

Money Time - Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.