Au pays des maisons en briques rouges et des mines fermées, le
Mondial-2015 a fait recette le temps d'un week-end, mais dans le nord de
l'Angleterre, de Hull à Widnes en passant par Leeds, le rugby est roi à
XIII pas à XV.
Vendredi soir à Huddersfield, ville de 160.000 habitants au coeur de la chaîne montagneuse des Pennines, la
Coupe du monde semble bien loin du John Smith's Stadium. Les Giants
accueillent les Leeds Rhinos, leurs voisins du Yorkshire, pour la
dernière journée du très relevé Championnat d'Angleterre de rugby à XIII
(Super League).
Les deux équipes sont déjà qualifiées pour les
demi-finales mais 10.000 spectateurs se pressent dans les tribunes. Ici
les premiers billets sont à 20 livres (27 EUR), gratuits pour les moins
de huit ans et Mitchell, le boucher de la rue de la gare, peut s'offrir
une pub.
Les tarifs sont très éloignés de ceux du football et
prennent racines dans la naissance même du jeu en 1895, à quelques
centaines de mètres du stade, dans le George Hotel.
"Dans les
années 1850 et 1860, les jeunes hommes des écoles privés et des classes
moyennes supérieures jouaient au rugby dans le nord industriel de
l'Angleterre", explique à l'AFP l'historien Tony Collins. "Le jeu est
rapidement devenu très populaire dans les classes ouvrières, les
mineurs, les dockers, etc. Dans certaines parties du nord, le rugby
était même devenu plus populaire que le football."
- Lutte des classes -
Les équipes ouvrières gagnent sur les terrains et en influence,
mais surtout, elles détournent "le but moral du rugby". "Pour les
classes supérieures, le rugby avait un but éducatif: l'incarnation d'un
christianisme musclé", développe le professeur de la De Montfort
University. "Pour les classes ouvrières, c'était simplement un spectacle
très excitant."
A Huddersfield, les supporteurs ne diront pas le
contraire: entrée des joueurs sous les flammes, chants de supporteurs,
chocs violents sur la pelouse et intensité soutenue pendant 80 minutes.
Rhinos et Giants enchaînent courses enflammées, chisteras et passes
entre les jambes...
"Dans le but de protéger leur idée du jeu, les
dirigeants ont introduit l'amateurisme en 1886 pour briser l'influence
des joueurs des classes ouvrières", continue l'auteur de The Oval World,
une histoire mondiale du rugby. "Eux, devaient s'absenter du travail
pour s'entraîner et disputer des matches. Ils étaient indemnisés pour
ça."
En 1893, la RFU refuse d'autoriser les indemnités et suspend
de nombreux clubs du nord. "Une guerre civile venait d'éclater dans le
rugby."
Ce conflit mènera au schisme de 1895, quand les 21 plus
grands clubs du nord se retrouvèrent au George Hotel pour former ce qui
deviendra la Rugby Football League.
"Le sport est donc né d'un
conflit social", insiste Collins. "Le XIII est toujours majoritairement
un sport des classes ouvrières, aussi bien au niveau des joueurs que des
spectateurs."
- Public contre privé -
Au stade, l'ambiance se rapproche du football. On n'hésite pas à
insulter copieusement arbitre et joueurs adverses, à siffler le buteur:
autant de sacrilèges dans un rugby à XV anglais très policé.
Il
fait froid mais les supporters de Leeds, venu en nombre assurent une
chaude ambiance, pourtant, personne ne porte de veste en coton huilé:
ici pas de gentlemen farmers.
Une division Nord-Sud existe, assure
Collins, lui-même habitant de Leeds. "Le nord, coeur industriel de
l'Angleterre, abrite plus des gens des classes ouvrières. La division
XV-XIII est une division de classes. Il y a des équipes professionnelles
de XV dans le nord (Sale, Newcastle, Leeds). Ce sont les clubs des
classes moyennes."
Et cela se vérifie dans le XV de la Rose: 21
des 31 joueurs (68%) sont issus d'écoles privés, alors que c'est le cas
de seulement 7% de la population. "Dans la Super League entière, il n'y a
qu'un joueur issu du privé", assure l'historien.
A Leeds, le
stade et la fanzone ont fait le plein pour le Mondial. Un succès bien
aidé par Angleterre - Galles samedi et par les nombreux supporters
écossais venus par milliers dimanche pour Ecosse - Etats-Unis.
"C'est
un événement sportif majeur mais cela n'a pas les racines ni l'attrait
qu'a le XIII", insiste Collins. "Si vous arrêtez les gens pour leur
parler de rugby, ils vont penser aux Rhinos." Et à Ryan Hall, qui a
finalement inscrit l'essai de la victoire de Leeds sur la sirène. Du
grand spectacle.
(AFP)
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